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L’Heure espagnole et Gianni Schicchi à l’Opéra Bastille - Deux heures joyeuses ! – Compte-rendu
L’opéra peut être une vraie fête dont on sort joyeux et revigoré. C’est le cas, avec cette double bouffée d’opéra bouffe, qui offre aux yeux et oreilles des spectateurs un plaisir intense et jubilatoire.
La production signée Laurent Pelly n’est pas nouvelle, elle a déjà fait ses preuves depuis sa création en 2004 (plusieurs reprises à l’Opéra de Paris, mais aussi à Tokyo, Londres ou Milan) ; originellement conçue pour Garnier, elle s’accommode de son nouveau format et s’adapte fort bien à l’imposant espace de Bastille, réglée au millimètre, au rythme et à la précision de l’horloger suisse, ne perdant rien de son ressort comique et de l’atmosphère de commedia dell’arte souhaitée par Ravel et Puccini.
La nouveauté réside dans le plateau vocal et la direction d’orchestre, tous deux exceptionnels musicalement et visiblement heureux dans leurs fonctions respectives qui constituent véritablement une troupe pour ce doublé truculent et musicalement contrasté, « avec un peu d’Espagne autour » pour Ravel, et beaucoup d’Italie pour Puccini.
L'heure espagnole © Svetlana Loboff - OnP
L’Heure espagnole met en scène Concepcion, campée ici par la mezzo Clémentine Margaine, (Carmen à Bastille l’an dernier) qui profite de l’absence de son mari, devant régler les horloges municipales de Tolède, pour trouver du réconfort dans les bras d’un amant, peu importe lequel !
Un mari, trois amants, dont deux cachés dans deux horloges qui se baladent entre la boutique de l’horloger Torquemada (capharnaüm digne des Puces peuplé d’horloges en tout genre, taureau empaillé, éventails, roues de vélo, guitare…) et la chambre de la jeune femme (invisible), au gré des désirs de madame. La pitoyable aventure, l’un des principaux airs de l’ouvrage, est interprété ici avec puissance et autorité, et le jeu, vif, accentue à gros traits la nymphomanie du personnage.
Concepcion jette d’abord son dévolu sur un poète ridicule de lyrisme et d’emphase absurdes, Gonzalve, magistralement interprété ici par Stanislas de Barbeyrac ! La voix est magnifique et en pleine forme ; on avoue un faible pour son jeu subtil de déhanchements, moulé dans un pantalon pattes d’eph orange… digne de John Travolta dans Saturday Night Fever !
Mais il est plus concentré sur son art que sur les charmes de Concepcion : cette dernière se rabat sur un banquier bedonnant (qui reste coincé dans une horloge !), Don Inigo Gomez, incarné par Nicolas Courjal dont le jeu participe grandement au comique du spectacle. Reste le Ramiro de Jean-Luc Ballestra qui déménage à bout de bras les horloges vides ou pleines, et vers lequel finalement Concepcion se tournera, enfin comblée : « vraiment cet homme a des biceps qui dépassent tous mes concepts ! ».
Torquemada, mari cocu concupiscent incarné par Philippe Talbot (présent sur les deux ouvrages), est proportionnellement aussi sobre et calme que sa femme peut être à la limite de l’hystérie.
Tous les chanteurs de cette distribution homogène se rejoignent dans un français parfait et une articulation limpide, mettant en valeur les métaphores pour le moins croustillantes du livret.
Les artistes sont aussi dans la fosse. Quel orchestre ! Quelle beauté des timbres. On boit du petit lait et on respire au rythme du tic-tac des horloges et des sons cristallins du célesta.
Maxime Pascal à la tête de cet orchestre luxueux dirige d’une main de maître la comédie musicale. Le jeune chef n’en est pas à ses débuts à l’Opéra de Paris, ni dans la musique de Ravel. De ses précédentes expériences (Daphnis & Chloé / Boléro – Millepied / Béjart), il a tiré la précision du rythme, mais aussi l’ampleur, le souffle et la souplesse. Cette partition enivrante nous aimante sur nos sièges et nous fait rire et danser intérieurement.
Gianni Schicchi © Svetlana Loboff - OnP
Moins novateur, donc plus inattendu peut-être, le bel canto de Puccini lui sied également à merveille. Rappelons que Gianni Schicchi occupe une place à part dans l’œuvre du compositeur. Cet opéra bouffe en un acte est en réalité le dernier volet d’un triptyque qui visitait le tragique, le sérieux, le comique. Puccini ressentait « le désir de bien s’amuser ». Son librettiste Forzano lui livre un texte teinté de cynisme et d’ironie sur le mépris de classe, voire teinté d’anticléricalisme, sur lequel Puccini crée une musique qui à la fois emprunte au populaire toscan, soutient le bel canto, libère les interprètes.
De cette grande farce aux allures de satire sociale, qui va jusqu’à faire parler un mort et falsifier un testament, on retiendra là encore l’homogénéité de la distribution d’un niveau exceptionnel. Elsa Dreisig campe une parfaite Lauretta et livre en duo avec l’orchestre un mémorable « O moi babbino caro », emblème du bel canto s’il en est. Vittorio Grigolo est un Rinuccio dont on salue la beauté rayonnante du timbre et sa toute puissance.
Palme d’or à Artur Ruciński, enfin, rôle-titre désopilant, charismatique, énergique, polymorphique, un père savoureux et malicieux qui tire toutes les ficelles de cette belle comédie humaine. Bref, le vrai baryton bouffe, à la voix noble, comme on les aime.
Le public enthousiaste n’a pas boudé son plaisir en cette soirée de Première, la salve d’applaudissements renforçant un peu plus les derniers accords d’un Gianni Schicchi enthousiasmant.
Oui, l’opéra peut être une fête.
Gaëlle Le Dantec
Ravel : L’Heure espagnole / Puccini : Gianni Schicchi – Paris, Opéra Bastille, 17 mai ; prochaine représentation les 19, 22, 27, 30 mai, les 2, 8, 12, 14, 17 juin 2018 // www.concertclassic.com/concert/lheure-espagnole-0
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