Journal

Lille - Compte-rendu - Du piano chez les Ch’tis


Né à partir des Rencontres internationales de piano Robert Casadesus à la faveur de Lille 2004, Piano(s) Festival est désormais bien installé dans la vie musicale lilloise. Au point que les organisateurs s’autorisent même en l’espace de la saison en cours un changement de dates qui déplacera la manifestation de novembre à juin. En attendant une édition autour de Chopin au printemps prochain, on a donc pu goûter le week-end dernier à l’affiche très riche du 5ème Festival.

Un Concerto pour piano n°4 lumineux et volontaire sous les doigts de Jean-Efflam Bavouzet, également protagoniste de la Fantaisie chorale enlevée avec générosité et flamme par Jean-Claude Casadesus à la tête du National de Lille, en très belle forme tout comme le Chœur Régional Nord-Pas-De-Calais, ouvrent la fête. Ce coup d’envoi beethovénien témoigne du salutaire rajeunissement accompli par l’ONL depuis quelques années et place le cru 2008 sous les meilleurs auspices ! Il va se révéler riche d’émotions et de découvertes…

Piano(s) Festival a toujours réservé une place de choix à la jeune génération. On y retrouvait cette année des artistes déjà bien connus du public, tel Bertrand Chamayou, magnifique dans un original programme de variations (Crumb, Haydn, Liszt, Bartok, Mendelssohn). Profonde et humble la musicalité du Français est celle d’un grand. L’évidence, le naturel, la fluidité du Concerto n°27 de Mozart qu’il donne quelques heures après sous la direction de l’excellent Roberto Fores Veses (un chef à suivre !) ne font que confirmer ces impressions. Mozart contraste durant ce concert avec le Stravinski du Concerto pour piano et vents. Concert partagé puisque ce dernier ouvrage revient à Toros Can, un habitué de la manifestation lilloise, qui fait son miel du néoclassicisme d’une partition que le jeune maestro espagnol « tient » avec un rare aplomb et à laquelle les « souffleurs » de l’ONL font honneur.

Né en 1983, le Suisse-italien Francesco Piemontesi (photo) est sans conteste la grande révélation du week-end. Virtuose d’exception et musicien subtil, il démontre l’étendue de sa palette expressive et la richesse de son toucher dans un programme Mozart (Sonate KV 282), Schubert (Sonate D 664) et Stravinski (la superbe transcription de L’Oiseau de Feu de Guido Agosti). Cerise sur la gâteau : un bis de Gershwin/Earl Wild (un choix qui en dit long pour les connaisseurs de piano…) attise un peu plus l’envie de réentendre très vite un artiste dont on sait qu’il a également fait grande impression lors de son passage au Festival Piano en Valois-Angoulême quelques jours auparavant.

Ouvert à des interprètes de toutes générations, Piano(s) Festival a permis à un immense maître du piano espagnol de se rappeler au bon souvenir du public français : Joaquin Achucarro. Standing ovation pour des Goyescas où la noblesse du geste, une virtuosité maîtrisée et jamais tapageuse font toucher à ce que le chef-d’œuvre de Granados comporte de plus secret. Du très grand art. Qu’attendent les salles et les orchestres parisiens pour offrir à Achucarro la place qui lui revient ? On sait gré à Jean-Claude Casadesus, qui a accompagné le pianiste dans Rachmaninov il y a deux ans à Nice, d’avoir contribué à sa venue à Lille.

Le centenaire Messiaen n’est pas non plus oublié. Si le toucher excessivement monochrome de Steven Osborne dans des extraits des Vingts Regards nous laisse sur notre faim, le bonheur est grand en revanche d’entendre des Visions de l’Amen habitées sous les doigts de Deszö Ranki et Edit Klukon. L’intelligence stylistique, la fraîcheur, le piquant des deux Hongrois dans le Concerto pour deux pianos Mozart font oublier la fruste direction d’Alexander Vakoulsky. Le lendemain, lors du concert clôture, ce dernier force trop le trait dans le Concerto n°1 de Brahms. Mais Boris Berezovsky est au clavier et emporte l’adhésion par l’énergie formidable de son propos.

A saluer enfin, l’idée de partager les récitals du festival entre divers lieux (Théâtre du Nord, Conservatoire, Chambre de commerce), ce qui permet de bénéficier d’acoustiques bien meilleures que dans les petites salles du Nouveau Siècle.

Alain Cochard

Piano(s) Festival, Lille, du 21 au 23 novembre 2008

> Les prochains concerts à Lille

> Vidéo de Bertrand Chamayou enregistrant Mendelssohn

> Vidéo de Boris Berezovsky en répétition

Photo : Marco Borggreve

Partager par emailImprimer

Derniers articles