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Lille Piano(s) Festival 2016 – Carrefour de talents
Né en 2004 à la faveur de Lille-Capitale Européenne de la Culture (1), le Lille Piano(s) Festival réunit chaque mois de juin une foison d’interprètes. Du récital au concerto, en passant par le huit mains ou la musique de chambre, l’amoureux de clavier a une fois de plus eu l’embarras du choix – et se trouvait parfois confronté à de cruels dilemmes compte tenu de l’abondance des propositions, entre découvertes et artistes déjà connus.
C’est le cas pour Ismaël Margain (photo), 24 ans, que nous avions jusqu’ici toutefois plus eu l’occasion d’apprécier en musique de chambre ou à quatre mains avec son excellent collègue Guillaume Bellom (en particulier dans le cadre du Festival de Pâques de Deauville dont il est un habitué depuis quelques années) qu’en soliste.
Son court mais intense récital dans la belle salle du Conservatoire aura été l’un des moments marquants du Piano(s) Festival 2016 et signale une personnalité à suivre de près. Première Partita : rien d’un piano « complexé » dans la musique de Bach. Le BWV 825 est abordé d’une sonorité pleine, timbrée et admirablement modelée. La musique coule de source avec simplicité, naturel, vitalité rythmique et profond sens du chant (quelle Sarabande !). Quant au style, les Menuets I-II suffisent pour comprendre à quel musicien l’on a affaire ...
Jean-Claude Casadesus et Ismaël Margain © Ugo Ponte - Orchestre national de Lille
La diversité des dons et la singularité du parcours d’I. Margain (à son aise en jazz comme en classique, il a étudié le piano, mais aussi le saxophone et la flûte traversière), son amour de la musique de chambre, placent continûment son imaginaire sonore au-delà du piano. Ce que l’on ressent dès le Bach se fait plus évident encore dans les 3 Klavierstücke D 946 de Schubert, vécus avec une brûlante urgence. Dès la première note du Mi bémol mineur, Margain est au cœur de son sujet et ne le quittera plus, creusant les caractères des trois pièces avec un relief et une variété des couleurs qui rendent impatient de découvrir le disque Schubert que l’artiste a en projet. L’Isle joyeuse de Debussy, ivre de lumière, la 1ère Etude de Kapustin d’un aplomb et d’un peps irrésistibles, et voilà Margain lancé dans quelques improvisations jazz : on comprend pourquoi Thomas Enhco aime tant collaborer avec lui ... Reste que si, à une époque, le cœur de Margain a pu balancer entre jazz et classique, c’est à ce dernier qu’il se dédie avant tout désormais. Il a fait le bon choix : un 23ème Concerto de Mozart (un ouvrage qui lui avait porté chance au Concours Long Thibaud 2012 dont il avait décroché le 3ème Prix et le, toujours révélateur, Prix du Public) lumineux et poète l’a confirmé le lendemain, avec l’Orchestre national de Lille rondement mené par Jean-Claude Casadesus dans la magnifique acoustique – on ne le redira jamais assez – du nouvel Auditorium du Nouveau Siècle.
Wilhem Latchoumia, Marie Vermeulin, Cédric Tiberghien et Vanessa Wagner ont souvent donné les mois passés (dans le cadre de « La Belle Saison ») un programme Debussy, Stravinski, Varèse, à deux pianos, quatre mains ou huit mains que le Piano(s) Festival 2016 a eu la bonne idée de reprendre. Le camaïeu de gris raffiné des Nuages de Debussy transcrits par Ravel à deux pianos (W. Latchoumia et M. Vermeulin) ou l’énergie du Sacre du printemps de Stravinski (C. Tiberghien et V. Wagner, dans la version à 4 mains de l’auteur, mais donnée ici sur deux pianos, ce qui en altère tout de même un peu la force d’impact, quel que soit l’engagement des deux pianistes) ne manquent pas leur effet. Reste que la vraie surprise du programme tient à la version à deux pianos (et huit mains !) d’Amériques de Varèse (réalisée par l’auteur). On pouvait a priori croire cette œuvre foisonnante et inclassable rétive à la transcription : le résultat s’avère bluffant de vie et d’énergie, et les interprètes d’une précision et d'une richesse de timbres admirables.
Vanessa Wagner © Leonard de Serres
La présence de Vanessa Wagner à Lille lui aura par ailleurs laissé le temps d’offrir un récital d’un genre original, partagé entre le pianoforte et le piano moderne. Une démarche instructive pour le public, qui aura entendu se succéder une pudique Sonate KV 570 de Mozart (pianoforte), l’Impromptu op. 90 n° 2 de Schubert (piano moderne), fluide et bien timbré, ou l’Invocation et les Funérailles (piano moderne) des Harmonies poétique et religieuses de Liszt dont la dimension orchestrale ressortait d’autant mieux qu’une sonate de Clementi (sur pianoforte) avait immédiatement précédé. On ne saurait trop féliciter V. Wagner de s’intéresser à ce compositeur si important dans l’histoire du clavier – demandez à Beethoven ! -, en l’occurrence à la Sonate « Didone abbandonata », expressive et imagée.
Carrefour d’interprètes, le Piano(s) Festival est toujours l’occasion de retrouver ou de découvrir de récents lauréats de Concours internationaux. Deuxième Prix du Concours Long Thibaud 2015, Julian Trevelyan, 18 ans à peine, fait équipe avec l’Orchestre de Picardie et Arie Van Beek dans le 9ème Concerto « Jeunehomme » de Mozart. Son interprétation, pleine de fraîcheur, d’élan (avec une tendance à presser le tempo dans le 1er mouvement ...), n’est pas sans charme, bien que le dialogue avec l’orchestre ne soit pas assez serré. Mais en apprenant que ce qui n’est encore qu’un fragile bourgeon va se frotter en public cet été au 1er Concerto de Brahms, on se dit que sa carrière s’emballe probablement trop vite. D’évidence il n’a pas encore toute la maturité ni l’outil pour affronter ses exigences. Chi va piano ...
Le Concerto KV. 271 était suivi du Concerto pour deux claviers BWV 1060, par les Sœurs Bizjak, et du Concerto pour trois claviers BWV 1063, par les deux précédentes et Anne Queffélec, toujours avec la phalange picarde et Van Beek. Un Bach tonique et roboratif qui a fait le bonheur de l’auditoire.
Premier Prix du Concours de Dublin 2015, la Française Nathalia Milstein ouvre son récital par la Toccata en ut mineur BWV 911 de Bach, remarquable de clarté et de sens rhétorique. Je reste un peu plus réservé face à sa Sonate op. 101 de Beethoven, non pas pour quelques scories, mais plutôt à cause d’une "prise d’altitude" encore insuffisante face à l’abstraction de l’œuvre – il est vrai parmi les plus difficiles, musicalement parlant, du corpus des 32 Sonates. Impossible en revanche de résister à la justesse de ton et la poésie sans chichi des Trois Mazurkas op. 50 de Chopin. Elles avaient un goût de trop peu avant une Valse ravélienne conduite avec maîtrise, souplesse et feu.
Lukas Vondráček © Irene Kim
Couronné le mois dernier par le Grand Prix du Concours Reine Elisabeth, Lukas Vondráček (30 ans) n’est pas un nouveau venu ( le Festival Piano aux Jacobins de Toulouse l'a déjà accueilli l'an dernier) et peut déjà se prévaloir d’un métier solide. Quel musicien et quel pianiste ! : son apparition est à ranger parmi les temps forts du Piano(s) Festival 2016. Choix original, les rares Souvenirs op. 6 de Vitezslav Novák (1870-1949) ouvrent son programme et montre en sens des caractères et une incroyable palette sonore - d’une subtilité « volodosienne ». Et l’artiste tchèque de s’attaquer ensuite à la Sonate n°3 de Brahms. Moyens phénoménaux certes, mais Vondráček ne cède pas un seul instant à l’effet. Pas une toux, pas un raclement de gorge dans la salle ; le public est proprement subjugué par la richesse d’une interprétation qui mêle souffle orchestral et poésie d’une délicatesse infinie.
Iddo Bar-Shai était à l’affiche du Festival en musique de chambre, en compagnie du violoniste Leonard Schreiber, artiste britannique pas assez connu chez nous dont le récital a révélé une musicalité consommée. Un Mozart (Sonate en mi mineur KV 304) vivant et stylé, une 2ème Sonate de Brahms, engagée et pleine de sève, soulignent l’art du chant, la rondeur de la sonorité et le sens du dialogue de Schreiber. Il ne séduit pas moins dans le dépouillement de Spiegel im Spiegel de Pärt où le violoniste profite de l’hypnotique accompagnement de Bar-Shai. Le Liebesleid de Kreisler, d’un chic infini, et un Nigun de Bloch intensément vécu ajoutent au succès public du duo. Estrellita de Ponce couronne, en bis, un superbe moment de complicité.
Boris Berezovsky © DR
Boris Berezovsky a fait l’honneur au duo de sa présence dans le public. Habitué de l’Orchestre national de Lille, l’artiste est effet au rendez-vous du Piano(s) Festival 2016 pour son concert de clôture dans l’un de ses chevaux de bataille : le 2ème Concerto de Chopin. Sous la baguette complice de son ami Jean-Claude Casadesus, le pianiste se régale l’Opus 21 avec la flamme et la tendresse qu’on lui connaît.
Une page se tourne, à Lille où Casadesus passera officiellement le relai à son jeune collègue Alexandre Bloch les 29 et 30 septembre prochains lors d'un programme Berlioz, Parra, Katchaturian (le Concerto pour violon avec N. Radulovic) et Stravinski. Mais Jean-Claude Casadesus ne délaisse pas la vie musicale lilloise pour autant et demeure président du Lille Piano(s) Festival. Rendez-vous du 9 au 11 juin 2017 pour la prochaine édition !
Alain Cochard
Lille, Nouveau Siècle Conservatoire, 18 et 19 juin 2016
Photo Ismaël Margain © Stéphane Delavoye
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