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L'Orfeo de Monteverdi ouvre la saison de L'Opéra de Dijon - Orphée superstar, incontestablement - Compte-rendu
La force et l'intérêt des mythes c'est d'être intemporels et vivants. La difficulté de les représenter réside dans le fait de nous en faire sentir la constante actualité sans tomber dans une trivialité creuse ni être écrasé par la monumentalité du sujet. Pour sa première mise en scène d'opéra, Yves Lenoir saisit à bras le corps avec une remarquable maturité le mythe antique et la fable humaniste sans l'excessive et tremblotante révérence que pourrait inspirer le chef- d'œuvre fondateur de Monteverdi et de son librettiste Striggio. Amateurs de bergers thraces en jupettes ou de hiératisme tragique, passez votre chemin car Orphée est aujourd'hui une rock star que l'on retrouve avec sa bande plutôt underground - antiques et perpétuelles passerelles entre firmament et dark side - dans le huis clos d'une chambre du Chelsea Hotel, légendaire repère new-yorkais d'artistes de tout poil. Oubliées les lectures pastorales, élégiaques ou néo-christiques, c'est un Orfeo passionnel et charnel qui explore le hiatus essentiel de l'œuvre, entre la puissance de l'artiste qui défie et façonne le monde et sa propre faiblesse : "Orphée a triomphé de l'enfer et a ensuite été vaincu par ses passions" conclut le chœur du quatrième acte.
© Gilles Abegg © Opéra de Dijon
La réalisation évite judicieusement la caricature de l'artiste junkie idolâtré, la direction d'acteurs est millimétrée, vivante, efficacement dansante même, la mise en scène est soignée et fourmille d'idées qui soulignent la dimension humaniste de l'œuvre (le chœur des "bergers" qui s'arrache et chante les pages composées par Orphée, homme-artiste qui inspire le monde ; l'anéantissement de l'Espérance et la désolation du monde dès lors qu'Orphée, l'artiste démiurge, quitte la terre,...). Il n'y a en fait pas grand chose à reprocher si ce n'est un improbable zodiac qui traîne difficilement Eurydice hors des profondeurs, et surtout l'étonnant contre-sens sur l'endormissement de Caron, l'intraitable nocher des enfers vaincu par le subterfuge de l'argent et de la drogue plutôt que par la puissance supérieure de l'art d'Orphée, le cœur du sujet tout de même. Quoi qu'il en soit, Il en ressort une lecture très cohérente et efficace, un Orfeo intensément passionné, profondément humain plutôt qu'héroïque.
© Gilles Abegg / Opéra de Dijon
Le mérite en revient aussi en grande partie à Marc Mauillon qui réalise une très belle prise de rôle. Rock star bouillonnante, ambiguë et éperdue, plus vrai que nature, il mouille sa chemise avec aisance, conviction, ... et précision. C'est une incarnation brûlante, toujours en mouvement, de l'extase communicative de « Rosa del ciel », en passant par une très soigneuse progression des couleurs de stance en stance dans l'apogée de « Possente spirto », jusqu'au lamento « Questi i campi dit Tracia » au cinquième acte, déchirant comme jamais. La troupe est par ailleurs assez homogène et apporte un soin manifeste et réjouissant à la dimension théâtrale. On y remarque en particulier le timbre mordoré et séduisant d'Emmanuelle de Negri dans l'allégorie de la Musique, la suavité très gracieuse de Claire Lefilliâtre en Proserpine ou la clarté réconfortante de l'Apollon de Thomas Král. Concluant chacun des cinq actes, le chœur d'une dizaine de chanteurs a une belle pâte sonore mais pourrait gagner en relief.
C'est parfois le sentiment que donnent aussi par moment les Traversées Baroques dirigées par Étienne Meyer. L'orchestre commence avec un son très ciselé jusqu'au deuxième acte puis, à la faveur de la dramatisation de l'intrigue et de couleurs plus sombres, l'ensemble devient plus compact et perd en contrastes, presque en sous-régime par rapport à l'énergie rageuse qui se développe sur la scène, en particulier au 4ème acte. Peut-être des pudeurs de jeunesse pour cette formation qui en est à ses presque premiers pas dans la fosse. Rien en tout cas qui vienne gâcher la réussite de cette production, ardent et pertinent regard contemporain sur la favola de Monteverdi.
Philippe Carbonnel
Monterverdi : L’Orfeo – Dijon, Opéra de Dijon-Auditorium, 30 septembre, dernière représentation le 4 octobre 2016/ www.opera-dijon.fr
Photo © Gilles Abegg / Opéra de Dijon
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