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Lyon - Compte-rendu : L’art et la grâce - Nelson Freire et Evgeni Koroliov
L’un respire la démesure et la fausse nonchalance. L’autre la retenue et l’harmonie ciselée. Deux grands pianistes étaient de passage à Lyon, deux artistes passionnants aux styles diamétralement opposés. Le dionysiaque contre l’apollinien en quelque sorte…
On est d’abord heureux d’avoir retrouvé Nelson Freire en grande forme, après deux récitals assez chiches à la MC2 de Grenoble et au festival de Verbier (1h 15 applaudissements compris…), qui ne nous avaient qu’à moitié convaincu. Dans la belle acoustique de la Salle Molière pour la série « Piano à Lyon », l’élégance chaloupée du maître brésilien se reconnut dès les premières Variations sérieuses de Mendelssohn. Passé l’allant irrésistible du Children’s corner de Debussy, les ailes de géant de Nelson Freire trouvent moins à s’épanouir dans l’introspection douloureuse de la Sonate opus 110 de Beethoven, malgré un beau dernier mouvement fugué aux renversements successifs. Mais c’est dans la Sonate n°3 de Chopin, menée avec une facilité désarmante, que Freire sut nous enivrer, livrant un presto final dévastateur, d’une majesté et d’une densité proprement inouies. A ces hauteurs-là, il est seul prince. Les arpèges lents de l’Intermezzo en la mineur opus 118 de Brahms, donné en bis, démontrèrent que l’artiste est aussi capable de conjuguer ampleur et intimité.
L’intimité, voilà le maître mot s’agissant du pianiste secret qu’est Evgeni Koroliov (photo). Dans un programme soigneusement composé autour de la musique française (Couperin, Rameau, Debussy, Ravel et… Bach, pour les Suites françaises), ce spécialiste de Jean-Sébastien Bach (qu’il enseigne à Hambourg), a donné un récital d’une maîtrise et d’une douceur infinies. Il ne joue pas, il chante, faisant ressortir la naïveté d’une ligne mélodique avec un toucher de jeune fille. Et pourtant, d’une sensibilité à fleur de peau, il reste d’un détachement souverain, trouvant la force de l’œuvre en sculptant sa forme plutôt que dans la puissance ou les effusions inutiles.
D’où ce jeu habité dont il est capable jusque dans le plus grand dénuement (le sommet était atteint avec la Sarabande de la 3ème Suite française), hypnotisant littéralement son auditoire. Toujours retenu, son propos n’est jamais uniforme, nourri d’une compréhension profonde de l’œuvre, et ravivé par un art achevé du contrepoint, Koroliov varie les attaques et les phrasés des voix souterraines à l’infini. Peut-être était-il moins à l’aise dans l’ampleur latine du Prélude de la Suite bergamasque de Debussy. Mais la mélancolie décadente de La Verneuil de Couperin, qui allie la douceur du chant à la majesté des graves et des trilles, tout comme Bach et Ravel (une Pavane pour une infante défunte belle à pleurer), touchaient au sublime. Comme si ce serviteur humble et pudique attendait le moment du concert pour livrer ses émotions les plus enfouies. Après le récital d’Arcadi Volodos il y a deux mois, une autre grande soirée des Grands interprètes, loin des sentiers battus.
Luc Hernandez
Nelson Freire le 21 janvier 2008, à Piano à Lyon
Evgeni Koroliov aux Grands interprètes à Lyon, le 25 janvier 2008. Il vient de publier les Suites françaises de J.S. Bach chez Tacet.
Programme de l'Auditorium de Lyon
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