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Marseille - Compte-rendu : Ernest Reyer un wagnérien bien de chez nous !
Solidement installée au répertoire de l'Opéra de Paris depuis sa création en 1892, la Salammbô d'Ernest Reyer n'a pas survécu à la seconde guerre mondiale : la grande et sulfureuse Germaine Lubin chanta en effet la dernière représentation parisienne au Palais Garnier en 1943, celle de l'Opéra de Marseille ayant eu lieu en 1940. On attendait avec d'autant plus d'impatience le retour de la célèbre héroïne de Flaubert sur la scène phocéenne que sa ville natale fête pour l'occasion le centenaire de la disparition du compositeur. Mort dans le Lavandou en 1909, il était né à Marseille en 1823 sous le patronyme de Rey. C'est, dit-on, son amour pour Wagner qui l'aurait conduit à germaniser son nom en Reyer. Cela suffit à vous faire une réputation. Surtout quand on appelle l'héroïne de son opéra précédent, Sigurd, Brunehilde comme la fille chérie de Wotan...
Et pourtant, c'est en vain qu'on chercherait dans ces cinq actes de vraie tragédie lyrique bien de chez nous la moindre trace de leitmotiv ou d'adieu à la tonalité comme dans le fameux prélude de Tristan. Si Reyer a subi la fascination du récitatif infini de Wagner ce qui le conduit à manier le grand air avec parcimonie, mais non sans efficacité et poésie, c'est plus à la phrase de Berlioz qu'il fait songer. Ce dernier ne s'y est d'ailleurs pas trompé qui laissa à Reyer sa tribune de critique au Journal des Débats après avoir abondamment louangé la musique de son successeur.
Si le traitement vocal fait plus penser à Gluck et à son descendant le Berlioz des Troyens, l'orchestre lui se situe davantage dans la tradition du grand opéra français tel qu'il fut établi par Meyerbeer et autre Halévy et continué par Gounod et Massenet. La révolution dans le sillage du dieu de Bayreuth, c'est Debussy qui devait l'opérer juste après Salammbô avec le vrai récitatif continu de son Pelléas. A l'orchestre, Claude de France devait tempérer son wagnérisme par le recours à la modalité grégorienne et au souvenir des musiques extrême-orientales, notamment balinaise. L'indéniable orientalisme de Reyer, c'est en fait celui du Proche Orient, celui que Marseille regarde à l'horizon et auquel ont sacrifié les principaux compositeurs français de cette fin du XIX è siècle, de Bizet à Lalo en passant par Massenet ou Saint-Saëns. Un orientalisme un brin chromo qui accompagne la conquête de l'Algérie et l'inauguration de l'Opéra du Caire.
Par manque de moyens financiers sans doute, Renée Auphan a sagement renoncé à une mise en scène qui ne pouvait être que pharaonique, voire hollywoodienne : en vrai professionnel, le metteur en scène Yves Coudray a compris le parti qu'il pouvait tirer d'une « mise en espace » spartiate. Jolie idée de projeter une sélection de gravures des costumes de la création, qui rythment la succession des tableaux. Un excellent éclairage du fond de scène, deux colonnes voyageuses et une direction d'acteurs sobre mais efficace suffisent à faire fonctionner notre imagination. Cela vaut mieux qu'un décor raté et des costumes dispendieux !
Lawrence Foster est dans la fosse. Ce vrai musicien, fin connaisseur de ce répertoire et prochain directeur de l'Opéra de Montpellier, s'emploie à colmater les brèches et à donner une unité à une phalange dont ça n'est pas la caractéristique. Il faut dire les choses telles qu'elles sont: Marseille est la deuxième ville française par sa population et elle vient d'être désignée comme capitale européenne de la culture 2013 et il est grand temps que la cité phocéenne consacre à la culture le même pourcentage que Lyon, notre troisième ville, soit 20%. Pour revenir au lyrique, il y a ici un formidable public comme à Toulouse : il est grand temps que son Opéra se rénove enfin et se dote d'un orchestre professionnel dont disposent désormais toutes les capitales des régions françaises. Ca coûte beaucoup moins cher qu'une équipe de football ...
Cela n'est pas dit pour injurier qui que ce soit. Et dans l'orchestre comme dans les choeurs au demeurant très satisfaisants, ils sont nombreux ceux qui donnent le maximum. Il leur faut un chef, un entraîneur, qui les fasse travailler comme il convient pour les conduire à plus d'homogénéité. Cela évitera certains décalages et autres dérapages non contrôlés... Car la distribution réunit une superbe brochette de jeunes artistes. D'abord bravo, car tout le monde ou presque prononce parfaitement. A commencer par la magnifique Salammbô de la mezzo américaine Kate Aldrich digne de ses devancières, les sopranos dramatiques Rose Caron et Germaine Lubin. Le ténor Gilles Ragon témoigne d'un parcours exemplaire depuis son Jason de la Médée de Charpentier avec Bill Christie voilà deux décennies, dans le rôle écrasant, sauf pour lui, de Mathô. Second ténor vétilleux de l'ouvrage le grand prêtre de Tanit qui permet au jeune Sébastien Guèze de faire une belle démonstration de son talent. La basse polonaise Wojtek Smilek n'est pas toujours compréhensible et le baryton français Jean-Philippe Lafont a affaire à forte partie avec le rôle d'Hamilcar.
Jacques Doucelin
Opéra de Marseille : Le 27 septembre. Prochaines représentations : 30 septembre, 2 et 5 octobre 2008. Renseignements: 04 91 55 11 10. opera.marseille.fr.
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Photo : DR
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