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« Mozart est comme une médecine pour la voix » - Une Interview d’Ildebrando d'Arcangelo
Physique de cinéma, voix de bronze et charme "à l'italienne", Ildebrando d'Arcangelo poursuit depuis bientôt vingt ans une riche carrière de baryton-basse. S'il interprète régulièrement les oeuvres de Donizetti, Rossini, Bellini, Verdi ou Bizet, il est aussi l'un des serviteurs les plus demandés de Mozart, dont il défend avec zèle et brio les principaux chefs-d'oeuvre. Nous avons profité d'une brève escale parisienne pour l'interroger à quelques jours de son prochain enregistrement en direct de Don Giovanni dirigé par Yannick Nézet-Seguin, à Baden-Baden (pour Deutsche Grammophon), et avant de retrouver le Festival de Salzbourg, les 8 et 9 août prochains, pour y donner le Stabat Mater de Rossini aux côtés d'Anna Netrebko et du maestro Antonio Pappano.
Ildebrando d'Arcangelo, vous êtes de passage à Paris pour faire la promotion de votre nouvel album, le second pour la firme DG, dédié à Mozart (1). Comment vivez-vous cette confiance qui vous est faite ?
I.d’A. : Avoir la chance de pouvoir réaliser un album en ces temps de crise et bénéficier du soutien et de l’estime d’une maison de disque aussi prestigieuse que la DG, tient pour moi du rêve, surtout si l’on compare la production actuelle à celle qui existait dans le passé. Grâce à l'équipe artistique de la DG, j'ai eu l’opportunité de mettre à profit toute mes connaissances et l'ensemble des mes compétences musicales et scéniques acquises en vingt ans de carrière, ce que je considère comme tout à fait inestimable.
Après Händel, vous revenez à votre compositeur préféré, Mozart. Comment avez-vous conçu votre programme dirigé par le maestro Noseda ?
I.d’A. : J’aime de nombreux compositeurs, mais lorsque j’ai appris à chanter vers l'âge de 16 ans, mon professeur m'a fait comprendre que Mozart était comme une médecine pour la voix, ce qui explique pourquoi je me considère toujours face à lui, comme un patient qui va consulter son docteur. Cette proximité n’est pas sans risque car beaucoup de directeurs de théâtres n'hésitent pas à vous coller des étiquettes et pensent que vous n’êtes pas capables d’aborder d’autres partitions, ce qui n'est pas exact. Mon dernier album mélange toutes les incarnations mozartiennes que j'ai chantées à la scène et travaillées depuis mes premiers pas en compagnie de John Eliot Gardiner, mais également de Claudio Abbado, Charles Mackerras ou Georg Solti… J’ai eu le privilège d’interpréter les deux airs de concert « Mentre ti lascio, oh figlia » et "Alcandro, lo confesso" ici à Paris, avec le maestro Muti au TCE et j'ai souhaité les insérer malgré, ou à cause de leurs difficultés, dans ce programme ; ils sont écrits dans des tessitures très étendues du grave à l’aigu et demandent une vocalité particulière, mais j’apprécie les défis que leur écriture impose.
Quel message particulier voulez-vous adresser au public avec ce nouvel album ?
I.d’A : Je crois que cet album est dédié à ceux qui m’ont soutenu depuis mes débuts et continuent de croire en moi et au public qui apprécie ma voix, tout en ayant conscience que l’on ne peut pas plaire à tout le monde. J’espère surtout avoir su respecter Mozart et son librettiste Da Ponte, dont le duo reste unique dans l'histoire de la musique.
Etes-vous d'accord avec le type de communication, d'image, que la DG a voulu véhiculer sur la pochette de votre cd ?
I.d’A. : (Rires)…je pense que ce type de « communication » est proche de ce que l’on attend aujourd’hui. Il est sans doute plus facile de nos jours de mettre en valeur les chanteurs et d’insister sur le fait qu’ils sont physiquement plus « attractifs ». Autrefois ils étaient moins attentifs à leurs silhouettes, convaincus que le surpoids rimait avec belle voix. Je ne sais pas si je ressemble à un modèle de la marque Dolce & Gabbana, comme vous avez l'air d'insinuer, mais si cette apparence peut attirer des jeunes à l’opéra, pourquoi pas. Ils manquent tellement de curiosité et d'éducation, surtout en Italie, qu'à mon avis tout est bon.
Vous devez beaucoup à votre père qui était organiste. Vous avez appris le piano durant dix ans, avant de faire le choix de l'opéra. Pensez-vous que sans lui vous n'auriez pas osé suivre un tel chemin ?
I.d’A. : Il est plus facile, en ayant un musicien à la maison, de s'engager dans une direction musicale précise, c’est indéniable. J’ai pourtant essayé de m’échapper de ses conseils et de sa bienveillance, car mon père était sévère et je devais l'écouter sans broncher. Lorsque j'ai été en mesure de décider, j'ai privilégié l'école au détriment de la musique. En réaction, il a fermé le piano, rangé les partitions et j’ai du pendant un certain temps, passer devant mon instrument, comme devant un amour inaccessible. Je le remercie aujourd'hui de pouvoir vivre de ma passion, car son aide s'est avérée précieuse et lorsque je vois aujourd'hui tous ces jeunes sollicités de toutes parts, rivés à leur console de jeux, ou à leur portable, incapables de s’intéresser à autre chose, je suis atterré.
Comment avez-vous découvert votre voix de baryton-basse ?
I.d’A. : Mon père m’a dit tout de suite qu’elle était ma tessiture. A 14 ans, ma voix était déjà celle d’un futur baryton. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette définition de "basse-baryton" qui ne veut pas dire grand chose. Autrefois les basses étaient répertoriées en trois catégories : profonde, cantabile et brillante ce qui, à mon avis, était plus proche de la réalité. Je peux chanter l’air de Figaro du Barbier de Séville, mais de là à interpréter le rôle en entier, il y a un monde.
Vous avez déclaré que votre vie avait changée le jour où vous aviez découvert Don Giovanni, puis plus tard entendu Samuel Ramey. Peut-on savoir pourquoi ?
I.d’A. : Je me souviens très précisément du jour où j’ai découvert l’opéra : c’était avec mon père et je suis resté médusé en découvrant le Barbier de Séville chanté par Hermann Prey et Luigi Alva, retransmis à la télévision. Je suis resté accroché à son épaule et n’ai pas bougé. J'ai ressenti cet impact musical de manière brutale. Peu de temps après j'ai éprouvé un autre choc musical en écoutant l'enregistrement de Don Giovanni dirigé par Karl Boehm avec Ezio Flagello et Dietrich Fischer-Dieskau. Le finale m'a littéralement bouleversé et j'ai vécu ce moment comme un déclic. Pour ce qui est de Samuel Ramey, je le considère tout simplement comme un artiste majuscule ; personne ne peut chanter comme lui, je ne vois rien à jeter dans son chant, sa technique est phénoménale et son attitude en scène parfaite.
Pensez-vous aborder comme lui des rôles tels qu'Attila et Boris Godounov?
I.d’A. : Boris, non, mais je commence à être très attiré par Attila que je compte aborder d'ici cinq ans à peu près. Le problème est qu’il va falloir lutter pour parvenir à être entendu par les programmateurs qui préfèrent vous distribuer dans les rôles où votre réputation est déjà faite...
Quels sont les chefs d'orchestre qui vous ont permis de développer votre interprétation d'un rôle comme Don Giovanni qui est, je crois, votre préféré?
I.d’A. : J'ai eu la chance de côtoyer les plus grands maestri, mais je dois avouer que Riccardo Muti a été pour moi le plus instructif : j'ai travaillé à ses côtés les parties musicales, comme si je n'avais rien saisi avant lui, en profondeur. Chaque page étudiée auprès de lui était comme une découverte, comme si je les avais seulement survolées avant qu'il ne m'ouvre les yeux. Ce fut le cas pour Mozart, mais valable également pour Schubert et Cherubini. Je lui dois énormément.
Quel bilan dressez-vous sur le fait d'avoir chanté Mozart tantôt sur instruments modernes, tantôt sur instruments anciens ?
I.d’A. : L'orchestre moderne possède une sonorité assurément plus brillante, vers laquelle je suis logiquement plus attiré que par celle obtenue avec les instruments anciens. J'ai travaillé davantage avec les orchestres traditionnels et même si je ne regrette pas d'avoir partagé de nombreuses expériences sur instruments anciens, j'ai l'impression aujourd'hui que je chante mieux avec un accompagnement sur instruments modernes.
Vous avez la chance de pouvoir fouiller vos rôles, dans des mises en scène très différentes. Vous est-il facile de défendre vos propres conceptions lorsque vous devez les confronter dans des spectacles qui perdent parfois de vue la psychologie, au profit d'images provocantes ?
I.d’A. : Il y a dix ans, je refusais de participer à des projets scéniques "expérimentaux", mais ce qui est beau avec le temps, c'est que l'on change parfois d'opinion et l'âme alors accepte de s'ouvrir. J'ai toujours veillé à respecter la lecture du metteur en scène, pour ne pas faire de l'Ildebrando d'Arcangelo, mais en essayant d'être le personnage. Notre métier nous permet d'interpréter, d'incarner des rôles, en nous glissant dans des univers sans cesse renouvelés. Je crains de me répéter, ce qui serait ennuyeux et la scène permet justement de passer un nouveau costume et de nous transformer en quelqu’un d'autre, c'est magnifique.
Entre la production de Pier-Luigi Pizzi de Don Giovanni à Macerata et celle de Roland Schwab à Berlin (2), qui proposent deux conceptions, deux esthétiques tout à fait opposées, où se situe votre Don Giovanni ?
I.d’A. : Je dois dire que le fait d'être passé juste après le spectacle de Schwab à celui de Jean-Louis Martinoty, m'a fait penché pour le premier... c'est très étrange, mais Martinoty a selon moi voulu mixer la modernité et le classique, au lieu de choisir entre l'un ou l'autre. Les relations n'ont pas été faciles avec Schwab, mais nous avons beaucoup parlé et si je ne comprenais pas ce qu'il attendait, je lui demandais de m'expliquer ses raisons. Finalement cette collaboration m'a permis de trouver des éléments d'une grande justesse. Il ne m'a rien imposé frontalement, mais a cherché à pénétré dans ma psychologie, ce que d'autres n'avaient pas pris le temps de faire, et je l'en remercie. Un spectacle peut plaire ou pas, mais on peut toujours déceler une forme d'harmonie et éprouver de la joie à le réaliser. Dans le spectacle de Claus Guth, Don Giovanni perd son sang toute la soirée et meurt finalement de la blessure que lui a faite le Commandeur, mais il s'agit pour moi d'un contresens, car Mozart et Da Ponte ont imaginé une mort surnaturelle et pas celle de n'importe quel chevalier. Schwab a souhaité qu'il renaisse, comme si son histoire n'avait jamais de fin ; je trouve cela très intéressant.
Cette année vous avez participé à la première d'Anna Bolena de Donizetti à Vienne, avec Anna Netrebko et Elina Garanca. Comment avez-vous préparé ce nouveau rôle et vécu cette représentation télévisée ?
I.d’A. : La première chose que j'ai faite est de vérifier si la tessiture était juste pour mes cordes vocales, puis j'ai lu l'histoire et regardé une série anglaise sur les Tudor - pas très bonne d'ailleurs. J'ai cherché à être particulièrement méchant avec ses deux femmes, la blonde et la brune, à la manière d'un Don Giovanni très cruel, telle une sorte de dictateur. Je dois avouer que j'ai beaucoup apprécié le travail avec Eric Genovèse, un véritable homme de théâtre, qui a su trouver le style approprié à cette œuvre, qui comporte essentiellement des dialogues et a su les faire exister. Nous nous sommes beaucoup arrêtés sur la langue et l'expression, pour que la caméra puisse venir capter les rapports et les pensées les plus intimes existant entre chaque protagoniste du drame. La présence de deux étoiles du chant telles qu'Anna et Elina a procuré beaucoup d'excitation. Les costumes ont également permis de nous sentir très à l'aise dans nos personnages respectifs. Le rôle d'Enrico est beau, mais je ne pense pas le rechanter à l'avenir, je suis satisfait de l’avoir abordé, mais je préférerais débuter dans Attila, vous comprenez !
Vous êtes un "citoyen du monde", mais restez Italien : comment vivez-vous la réaction très virulente de compatriotes qui veulent tourner enfin la tragique page de l'épisode berlusconien ?
I.d’A. : J'ai parfois honte d'être italien et que mon pays soit représenté par un tel personnage. Je ne fais pas de politique car je ne crois plus à ces hommes qui sont forts pour parler, mais faibles dans l'action. Les Italiens ont fait comprendre à la droite comme à la gauche, qu'il fallait agir, qu'il n'était plus temps de s'amuser. Notre culture est en train de s'effondrer, alors qu'elle s'est longtemps appuyée sur de puissantes racines. L'argent et le pouvoir conduisent au pire, mais heureusement la musique n'est d'aucun parti, d'aucune couleur, ou alors d'une couleur qui est la même pour tous et peut à elle seule réunir l'humanité.
(1)Album consacré à Mozart dans lequel le chanteur interprète avec talent des airs de Don Giovanni, des Nozze di Figaro et de Cosi fan tutte, ainsi que des airs de concerts accompagnés par l'Orchestre du Teatro Regio di Torino placés sous la direction de Gianandrea Noseda ( 1 CD DG) / www.deutschegrammophon.com/darcangelo-mozart
Propos recueillis et traduits de l'italien par François Lesueur, le 18 juin 2011.
Don Giovanni à Baden Baden : www.festspielhaus.de/en/performance/baden-baden-gala-2011-mozart-don-gio....
Site du Festival de Salzbourg : http://www.salzburgerfestspiele.at
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Photo : Uwe Arens
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