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Otello au Teatro Real de Madrid - Complète conjonction - Compte-rendu
Production étrennée au Teatro Real, mais en coproduction avec l’English National Opera de Londres et l’Opéra de Stockholm, Otello constitue pour l’Opéra madrilène une forme de retour aux sources. Puisque l’avant-dernier opéra de Verdi avait été représenté en ce même Teatro Real en 1890, trois ans seulement après sa création milanaise. Une manière aussi de défi, parfaitement accompli, au moment où l’institution lyrique de la capitale espagnole commémore les 200 ans de sa fondation, et accessoirement les 400 ans de la disparition de Shakespeare.
Car tout, ou presque, serait à louer dans la réalisation. David Alden choisit opportunément de situer sa mise en scène hors d’un contexte historiciste. Ou plutôt, opte pour un prétexte peu appuyé : l’instant de la conception de l’œuvre (celle de Verdi, et non pas de Shakespeare), dans ce XIXe siècle finissant, quand l’Italie revendique son unité sur fond de guerre. Foin donc de Maure au visage peinturluré de bitume, pas de Venise de carte postale. Les décors évoquent alors, sobrement, un palais ou une église baroque, d’une grisaille quelque peu décatie et de tous pays, sous des lumières froides émaillées de foules bariolées et de soldatesques vert-de-gris. Avec une réelle attention aux mouvements et jeux scéniques.
Ermonela Jaho (Desdemona) © Javier Del Real
Le drame peut alors prendre consistance et la musique s’épancher. Cette dernière jouit de l’incomparable acoustique du Teatro Real, entre l’impact impressionnant des masses (la scène d’ouverture) et des délicatesses pianissimo imperceptiblement profilées. Saisissant ! Et d’autant que les forces musicales titulaires du théâtre ne ménagent pas leurs effets ni leurs vertus interprétatives. À cet égard, le chœur se signale par la beauté de ses timbres alliée à une parfaite homogénéité d’ensemble. Mais l’orchestre n’est pas en reste, puissance et raffinement conjugués, sous la battue fouillée de Renato Palumbo.
George Petean (Iago) & Gregory Kunde ( Otello) © Javier Del Real
À cette conjonction répond la distribution vocale. Gregory Kunde est l’Otello du moment (à 62 ans !), dans une endurance sans faille, maniant éclat souverain et couleur nuancée, au sein d’une expression immédiate. Ermonela Jaho lui donne une belle réplique, enivrante Desdémone infiniment ductile, aux aigus lissés. George Petean plante un Iago subtil, comme on aimerait souvent qu’il le soit, ferme mais sans forcer la note ni le caractère. Le Cassio d’Alexey Dolgov serait lui plutôt tout à trac, mais sans excès et avec constance. Seconds rôles bien en place pour l’Emilia de Gemma Coma-Alabert, le Roderigo de Vicenç Esteve et le Ludovico de Fernando Radó. Et ainsi la tension ne relâche pas jusqu’au tragique final, dépourvu de lit superfétatoire et les héros dressés face à leur destin.
Pierre-René Serna
Verdi : Otello – Madrid, Teatro Real, 3 octobre 2016.
Photo © Javier Del Real
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