Journal
Paris - Compte-rendu : Un enterrement de seconde classe. Rozhdestvensky saborde la Dame de Pique.
Vergogna ! On espérait certainement trop du retour de Rozhdestvensky à l’opéra. Pourtant sa réputation de chef visionnaire semblait devoir aller comme un gant à La Dame de Pique. Las, il passa la soirée à revêtir les apparences d’un instrument qu’il affectionne parfois : le métronome, mais à quel tempo ! Lentissime, au point que la musique de Tchaïkovski se désagrégeait sur place, pour ne rien dire d’un plateau qu’il regarda à peine, laissant les chœurs errer entre les barres de mesure et les ensembles prendre l’eau.
Les deux premier actes n’en finissaient pas de traîner leur ennui gris trottoir et du coup la mise en scène si ingénieuse (sinon inspirée) de Lev Dodin semblait tirer à la ligne, explication psychanalytique devenue pesante et qui laisse voire ses ficelles : on a beau être chez les fous cela ne suffit pas à masquer les invraisemblances (le duo Lisa-Hermann ou les paroles des protagonistes contredisent la situation!). Toutes les premières scènes, si frémissantes de vie, si lourdes de menaces n’étaient plus qu’une succession de chromos, trahies par un orchestre en service minimum. Vladimir Galouzine est Hermann, incontestablement, ténor noir, expression sarcastique et hantée, un fantôme déjà, mais sa Lisa, sans faille, Hasmik Papian, ennui son personnage d’une voix trop opulente, d’un timbre sans grande personnalité.
Asphyxiées par le tactus soporifique, les deux ballades arrachent au Tomsky pourtant rôdé de Nikolai Putilin des notes improbables et le forcent à souligner ce qui devrait être emporté par la flamme du récit. Irina Bogatcheva campait une comtesse aux petits pieds, bourgeoise, maladive, en rien un monstre, une vieille femme confite dans ses nostalgies, vision possible mais guère passionnante, qui rendait son retour dans le costume de la méchante infirmière en chef (lorsqu’elle revient du royaume des morts pour révéler à Hermann les trois cartes fatidiques) plutôt comique. Cette femme là est morte de goutte, elle n’a pas les moyens de se transformer en spectre maléfique. L’on se demande bien pourquoi l’opéra de Paris nous prive de la grande Comtesse du moment, Felicity Palmer, pourtant souvent présente in loco dans les emplois de caractères. Un mot de Palmer, et vous avez envie de disparaître sous votre fauteuil, Bogatcheva ne peut même pas en avoir l’idée !
Le seul à sortir du lot, aux cotés de Galouzine, fut son rival : l’Eletzki de Ludovic Tézier, unique français de la distribution au demeurant, rappelait l’âge d’or des Gamrekelli, des Lisitsian, des Nortsov, des Selivanov, personnage noir, impérieux, implacable. Le timbre est d’une beauté souveraine, l’expression perçante comme un coup de poignard. Soir de première, les choses s’arrangeront peut-être, mais si Rozhdestvensky continue comme cela, il faudrait mieux rappeler son élève, Vladimir Jurowsky, qui avait donné à la création de ce spectacle la fièvre hallucinée qui hante l’une des plus belles partitions de Tchaïkovski, réduite ici à de la musique d’ameublement.
Jean-Charles Hoffelé
Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Première de la reprise de La Dame de Pique, Opéra de Paris Bastille, le 28 mai, puis les 31 mai, 3, 7, 10, 13, 16 et 19 juin.
Photo : DR Opéra de Paris.
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