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Philippe Jordan, Anja Kampe et l’Orchestre de l’Opéra de Paris – Wagner à vif – Compte rendu
Ouverture wagnérienne pour la saison symphonique de l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Avec patience et opiniâtreté Philippe Jordan a sculpté, façonné sa formation (1) pour qu'elle puisse répondre aux exigences de Wagner et tienne tête aux plus grandes phalanges dans un répertoire où les Français avaient perdu leur réputation. Après le Ring débuté en 2010 et donné en intégrale pendant la saison 2012-2013, un double album remarqué avec Nina Stemme publié en 2013 (Erato), Tristan und Isolde et Die Meistersinger ont permis au chef suisse et à ses instrumentistes de se rapprocher, de s'enrichir et de trouver un langage commun ; ce programme entièrement consacré à des extraits de la Tétralogie sonne comme une victoire. Les incertitudes quant aux capacités de retrouver à Paris un orchestre digne du passé sont oubliées, tant la pâte sonore est désormais riche, rutilante et contrastée, le style vigoureusement déployé et le plaisir de jouer évident.
Les pages issues de Rheingold, et c'est là la force de Wagner, n'ont besoin ni de décors, ni de lumières, ni d'effets spéciaux lorsqu'elles sont dirigées avec la clarté, la liquidité et la sobriété d'un Jordan qui fait confiance au message qu'elles véhiculent et aux images qu'elles suscitent immédiatement chez l'auditeur. Détaillée avec souplesse, cette musique est théâtre, chaque voix, chaque thème, chaque symbole faisant naître ici l'or scintillant, surgir là les filles du Rhin, les Dieux en leur Walhalla, ou suggérant le lourd pas des géants, avant de annoncer plus loin la trahison, la malédiction et la fin annoncée d'un monde qui court à sa perte.
A peine remis de ce fascinant tableau dépeint avec une adresse et un respect infinis Philippe Jordan, toujours sans partition, amenait ses troupes à libérer toute leur puissance au cours d'une Chevauchée des Walkyries promptement menée - comme pour balayer le triste souvenir de la mise en scène de Günter Krämer sur ce plateau en 2013… La douleur paternelle de Wotan dévoilée face à sa fille aimée mais désobéissante et voilà que les pupitres s'embrasaient pour ceinturer Brünnhilde d'un feu dévorant. Sans perdre un instant, le chef enchaînait avec de magnifiques Murmures de la forêt, où la petite harmonie qui lui est si chère s'exprimait avec la plus grande délicatesse, tandis que les cordes exhalaient leur savoureuse homogénéité.
Après Siegfried parti à la découverte du monde, place au Crépuscule des Dieux : là aussi Jordan a su obtenir de ses musiciens la grandeur, mais aussi la déchirante solennité propre à la Marche funèbre, avant d'accueillir celle qui allait glorieusement conclure ce vaste panorama wagnérien, Anja Kampe. Pour sa première « Immolation » parisienne, la soprano s'est emparée de cette grande fresque finale avec un art consommé que nous ne lui connaissions pas, en tout cas à ce niveau d’intelligence, d'intensité et d'expressivité. Au sommet de ses moyens, la cantatrice grâce à une diction parfaite, un matériau vocal à la fois dense et stable, un souffle infini et de resplendissants aigus, a livré une interprétation que nous n'oublierons pas, sa vision tout ensemble accablée, prémonitoire et pourtant apaisée, avant qu’elle ne rejoigne Siegfried dans les flammes, nous laissant pantois d'admiration.
Longuement applaudie, Anja Kampe, radieuse et chaudement félicitée par Jordan, a visiblement goûté ce bonheur partagé avec un orchestre chauffé à blanc.
François Lesueur
(1) Nommé directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris en 2007, il en a pris effectivement les rênes à la rentrée 2009
Paris, Opéra Bastille, 15 septembre 2015
Photo Philippe Jordan © Jean-François Leclercq / Opéra national de Paris
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