Journal
Pierre Génisson et Laure Favre-Kahn à l'ECUJE – Le mariage des saveurs – Compte-rendu
Drôle et charmante petite bulle que la salle en sous-sol de l’ECUJE, Espace culturel et universitaire juif d’Europe, où le dialogue s’instaure librement : là, c’est une série de concerts judicieusement choisis qui y fleurit. Petites tables où poser son verre, chandelles, douceur de vivre, concentration conviviale créent un climat propice à la réflexion, à l’écoute. Mais même si la musique séduit, ou fait heureusement voyager, une affiche à l’entrée de la salle avec les portraits des otages du Hamas indique tout de même qu’elle reste en sentinelle.
© Emma Picq
Et dans ce cadre inusité, arrivée de la blondeur rayonnante de Laure Favre-Kahn et de la brune et malicieuse personnalité de Pierre Génisson, clarinette en main, tandis qu’elle s’installe au piano, plus vive que les petites lumières. On sait l’immense talent de Génisson, dont la vivacité et la virtuosité courent le monde. On sait aussi la riche carrière de Laure Favre-Kahn, qui depuis plus de vingt ans s’est imposée comme l’une de nos plus prenantes pianistes. Placée sous le signe de la bienveillance et de la liberté, leur alliance s’est avérée savoureuse, passant par toutes les couleurs de l’arc en ciel musical, de l’intensité de la fameuse Prière d’Ernest Bloch au charme du Liebesleid de Kreisler, de la profondeur d’Airs du Shabbat, aux couleurs follement romantiques d’un Schumann un rien hofmannien, pour ses Fantasiestücke op.73, la première exprimant une indicible mélancolie.
© DR
Pièces parfois adaptées pour ce duo finalement peu fréquent, ou originales comme celles de Schumann, justement, elles ont ouvert un champ d’émotions constamment renouvelées, où la curiosité éveillée par des œuvres parfois méconnues du grand public se mariait à l’admiration pour l’intensité avec laquelle elles étaient offertes. Le jeu de Génisson : alerte, coloré, ironique, parfois presque provoquant, sonorités agrestes qui pouvaient surprendre dans ce cadre feutré, notamment pour le Voi che sapete de Mozart…Celui de Laure Favre-Kahn : toucher chaleureux, sensuel sans auto contemplation, phrasé large et ouvert sur de grandes vagues d’humanité, l’alliance était corsée sans acidité, charmeuse et parfois bouleversante, ainsi pour le magnifique Morgen ! qui a clos le concert, une aube poétique écrite 54 ans avant que le même Richard Strauss ne jette ses derniers feux sur l’oppressant Im Abendrot. Comme une grande boucle refermée.
Heureusement, la vie était sur scène, vibrante et pleine d’imagination, comme l’est « Dédicaces », (1) l'enregistrement que Laure Favre-Kahn vient de faire paraître, consacré à 14 artistes et intellectuels de tout ordre qu’elle admire et auxquels elle a demandé de choisir une pièce qui les représenterait : de Claude Lelouch à Hugo Marchand, de Charles Berling (pour le sublime Nocturne en do dièse mineur op. posth. de Chopin) à Nemanja Radulovic, ou au rabbin Delphine Horvilleur, pour laquelle elle a joué ici en solo les trois airs du Shabbat. Choix éclectiques qui témoignent d’un talent généreux, pour un disque original, enchanteur, et sans frontières.
Prochain rendez-vous classique à l’ECUJE le 29 janvier, avec Liza Kerob et Anne Le Bozec dans un programme pour violon et piano intitulé «Couleurs de la Méditerranée ».(2)
Jacqueline Thuilleux
> Les prochains concerts de musique de chambre en Ile-de-Paris <
(1) « Dédicaces », par Laure Favre-Kahn / 1 CD Opus 47
(2) www.ecuje.fr/offre/liza-kerob-anne-le-bozec-classique-a-lecuje/
Paris, ECUJE, 12 décembre 2024
Photo © Gad Ibgui
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