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Portrait de Juan Diego Flórez – Vous avez dit rossinien ?

Le plus célèbre chanteur péruvien de son temps, Juan Diego Flórez fêtera dans un an exactement ses vingt ans de carrière. A le voir si svelte et si juvénile en scène, la pupille noire pétillante et malicieuse, on en douterait presque. Les faits sont pourtant là pour nous rappeler que ce ténor aujourd'hui adulé a vu sa vie basculer en août 1996, à Pesaro, après avoir interprété Matilde di Shabran, ouvrage dans lequel personne ne l'attendait. Depuis cette date Flórez est devenu un héros fêté comme rarement ailleurs sur les rives de l'Adriatique où il revient chaque été et où il s'est offert une superbe villa qu'il occupe avec femme et enfants.
 

© Decca / Josef Gallauer

Des bars de Lima au Curtis Institute
 
Né à Lima le 13 janvier 1973 de parents musiciens (son père est guitariste et chanteur de mélodies populaires), le jeune Juan Diego est très tôt encouragé par sa mère à apprendre la musique. Il travaille la guitare, puis écrit des chansons qu'il fait entendre en s’accompagnant au piano dans les bars de sa ville. En 1989 il remporte un prix qui le conduit à suivre des cours de chant, avant d'intégrer le Conservatoire de Musique du Pérou. Flórez délaisse rapidement les variétés pour s’intéresser à la musique classique, devient choriste et décide de partir pour les Etats-Unis après l’obtention d'une bourse. Cap sur le Curtis Institute de Philadelphie ! Il y étudie de 1993 à 1996, tout en se perfectionnant auprès de Marilyn Horne à la Music Academy of the West de Santa Monica. En 1994, Flórez fait la connaissance d'Ernesto Palacio, péruvien comme lui et ancien ténor. Une rencontre déterminante : à ses côtés le jeune musicien travaille des partitions, soigne ses interprétations et étudie Rossini, auteur défendu quelques années plus tôt par Palacio lui-même - qui est depuis devenu son agent !
 
Une star est née !
 
Invité par le Festival de Pesaro où il a décroché un petit rôle dans Ricciardo e Zoraide, le chanteur ne sait pas en juillet 1996 que sa vie va être bientôt bouleversée… La direction cherche en urgence un ténor pour remplacer Bruce Ford qui devait interpréter Corradino dans Matilde di Shabran. Flórez n'a que 23 ans, pour ainsi dire pas d'expérience, mais il connaît l’œuvre pour l'avoir apprise avec son mentor. En quelques jours tout s'organise pour que la production soit prête et le soir de la première le public l’acclame. Les rossiniens adoubent le jeune inconnu ; son agilité, l'insolence de ses aigus, sa ligne de chant naturelle et son charme sont immédiatement remarqués. Une star est née.
 
Rossini, passionnément
 
Les théâtres d'Europe ne tardent pas à s'arracher un jeune virtuose qui fait ses débuts à Milan dans Armide de Gluck sous la direction de Riccardo Muti (7 décembre 1996), à Londres en 1997 avec Elisabetta, regina d'Inghilterra de Rossini, à Vienne deux ans plus tard avec son premier Almaviva du Barbier de Séville. La nouvelle coqueluche rossinienne est invitée à Paris et à Philadelphie en 2000 pour chanter Lindoro dans L'Italiana in Algeri, débuts américains qui sont suivis deux saisons après par un nouveau Barbier au Met. Entre temps il ajoute à sa collection rossinienne Idreno (Semiramide à Vienne), Rodrigo (Otello à Londres), Giacomo/Uberto (Donna del lago à Pesaro), alternant avec Fenton dans le Falstaff de Verdi abordé notamment au Châtelet en 2001 et surtout Tonio (La Fille du Régiment de Donizetti) qu’il chante pour la première fois à Las Palmas en 2001.

Dans le rôle de Tonio © Michael Poehn - Wiener Staatsoper

Ce rôle dans lequel sa sûreté vocale, ses connaissances belcantistes et son physique d'éternel adolescent font merveille, devient en quelques saisons son rôle fétiche, le tenant avec succès aux côtés de l’irrésistible Patrizia Ciofi en 2005 (capté à Turin/DVD Decca), puis dans la production signée Laurent Pelly présentée un peu partout en Europe et aux USA avec Dessay, Rancatore, Damrau et Ciofi à Barcelone en 2012, puis à Londres en 2014. Acclamé par le public, le ténor ose bisser « Pour mon âme » à la Scala de Milan, puis à Paris, pour le plus grand plaisir des auditeurs, privilège jusque-là réservé au seul Pavarotti.
 
De nouveaux rôles

 
Flórez réserve à Las Palmas la primeur d'Arturo (I Puritani, 2004), de Nemorino (L'Elisir d'amore, 2005) ainsi que de Nadir (Les Pêcheurs de perles), qu'il campe en compagnie de Ciofi en 2012. Attentif à l'évolution d’une voix qui s'étoffe avec l'âge, le Péruvien s'oriente depuis plusieurs années vers le répertoire français, perfectionnant la langue et procédant à d'inévitables réajustements techniques. S'il a laissé de côté le Duc de Mantoue de Rigoletto, le jugeant en 2008 hors de ses moyens, ce styliste, ce technicien raffiné qui refuse de se cantonner à quelques rôles, s'est également mesuré avec succès à Orphée et Eurydice de Gluck (Madrid), œuvre dans laquelle il est attendu du 14 septembre au 3 octobre prochain à Londres ; sous la direction de John Eliot Gardiner  et dans une mise en scène du chorégraphe Hofesh Shechter. Régulièrement invité à Barcelone où il était Elvino avec Ciofi la saison dernière dans La Sonnambula de Bellini, il y donnera son premier Edgardo de Lucia di Lammermoor en décembre prochain avec Elena Mosuc, sous la baguette de Marco Armiliato, une production zürichoise signée Damiano Michieletto.
 
Werther à l’horizon
 
Après un premier Arnold dans Guillaume Tell de Rossini à Lima en 2013, le ténor a retrouvé ce rôle à Pesaro la même année avec le flamboyant spectacle de Graham Vick (qui vient tout juste de paraître en DVD chez Decca), où il était entouré par Nicola Alaimo, Marina Rebecka et Simon Orfila et placé sous la direction de Michele Mariotti, quelques semaines après son premier Fernand de La Favorite à Monte-Carlo, opéra repris à Salzbourg en 2014 avec Elīna Garanča en version de concert. Toujours aussi longue et solaire, facile dans l'aigu et désormais plus développé dans le medium, la voix de Juan Diego Flórez est prête à passer un nouveau cap avec Werther, rôle dans lequel le public parisien pourra l'entendre en concert au TCE, le 9 avril 2016, avec Joyce DiDonato et sous la baguette de Jacques Lacombe. Une autre prise de rôle attendue, celle de Raoul de Nangis des Huguenots de Meyerbeer suivra, en concert à Berlin à la rentrée 2016, avec Patrizia Ciofi en Marguerite de Valois.
 
Bientôt au côté de Gregory Kunde dans l'Otello de Rossini à Milan

 
Avant cette date, Flórez se sera produit en concert et en récital, exercice dans lequel il excelle et où son rapport au public atteint son paroxysme (à Milan, le 19 juin prochain, il interprète des mélodies de Duparc, Massenet, Rossini, Donizetti et Tosti accompagné par Vincenzo Scalera, à Paris à la Philharmonie le 20 novembre puis, le 3 avril 2016, il proposera un programme similaire à Monte-Carlo). Intimement lié à Rossini dont il a chanté la quasi-totalité de l'œuvre, le ténor retrouve la Scala de Milan du 4 au 24 juillet prochain, pour interpréter le personnage de Rodrigo dans une nouvelle production d'Otello confiée au metteur en scène par Jürgen Flimm. Il partage l'affiche avec l'exceptionnel Gregory Kunde, seul ténor au monde à pouvoir alterner les deux Otello aussi opposés vocalement que celui de Verdi et de Rossini ; également à l’affiche Edgardo Rocha (Iago), Olga Peretyatko (Desdemona) et Roberto Tagliavini (Elmiro), dirigés par Muhai Tang (en lieu et place du maestro Gardiner initialement prévu), un rendez-vous à ne pas manquer.
 
Le 3 août, Flórez sera de passage à Salzbourg le temps d'un récital avec Scalera (Fauré, Duparc, Liszt, De Falla, Rossini et Verdi), avant de rejoindre le Festival Castell Peralada (le 6) pour un concert de Gala, sous la baguette d’Espartaco Lavalle à la tête de l'Orchestre de Cadaquès, suivi le 9 août par un concert à Mallorca. Enfin, last but not least, le ténor enchantera le Festival Rossini de Pesaro dans la Messa di Gloria, complétée par deux cantates, Il pianto d'armonia sulla morte di Orfeo et La morte di Didone, chantées par Jessica Pratt et Viktoria Yarovaya et dirigées par Roberto Abbado (15 et 18 août).
Malgré un emploi du temps saturé, l’artiste demeure attentif à la Fondation Sinfonia por el Perú, qu'il a créée dans son pays natal, un projet social et pédagogique destiné au développement artistique et personnel de jeunes enfants défavorisés grâce à la pratique musicale.  
 
Que ceux qui n'auraient pas la chance de voir Juan Diego Flórez sur scène se procurent l'enregistrement de Matilde di Shabran dirigé par Frizza avec la divine Massis (Decca), celui d'Orphée et Eurydice avec López Cobos (Decca), de La Cenerentola de Pesaro en 2000 (ROF), ou l'album studio de 2007 dirigé par Daniel Oren (Bel canto Spectacular). En vidéo, ses deux prestations dans La fille du régiment valent le détour (Ciofi/Decca et Dessay/Virgin), et chez Rossini découvrez-le avant tout dans Le Comte Ory de Rossini capté à New York en 2011 (Virgin) où DiDonato, Damrau et Degout lui donnent la réplique, conduits par Maurizio Benini.
 
François Lesueur
 
Site officiel de Juan Diego Flórez : juandiegoflorez.com
 
Site de la Fondation Sinfonía por el Perú : www.sinfoniaporelperu.org/en/sinfonia-por-el-peru.html
 
Otello de Rossini à la Scala de Milan :
Le site de notre partenaire : http://bit.ly/1KQODQX
 
Festival de Salzbourg 2015 : www.salzburgerfestspiele.at/summer
 
Festival Castell Peralada 2015 : www.festivalperalada.com/fr
 
Festival Rossini de Pesaro 2015 : www.rossinioperafestival.it
 
Site du Royal Opera House : www.roh.org.uk

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