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Pourquoi écrire de la musique en 2015 ? - Questions à sept jeunes compositeurs
Julien Bellanger, Violeta Cruz, Denis Fargeton, Valentin Hadjadj, Etienne Kippelen, Adrien Trybucki, Charles Van Hemelryck : encore étudiants (au CNSMD de Lyon ou de Paris) et déjà en activité, sept jeunes compositeurs ont accepté de répondre au questionnaire que Concertclassic leur a soumis. Leurs réponses soulignent la diversité des parcours et des tempéraments, des points de référence et des sources d’inspiration, mais aussi un fréquent attrait pour la musique à l’image et le rôle, souvent essentiel, de la technologie dans le processus de composition.
Julien BELLANGER
« L'informatique musicale ouvre de nombreuses portes. »
© DR
A l'origine guitariste et trompettiste, Julien Bellanger est à présent compositeur et particulièrement compositeur de musique à l'image. Il tout au long de son parcours exploré de nombreux styles, jazz, rock, électro, classique ... Titulaire d’un Master de musiques appliquées aux arts visuels et d’un DEM d’harmonie, il entre en 2014 dans la classe de musique à l’image du CNSMD de Lyon. Il a réalisé la musique de plusieurs courts métrages d’animation et de prise de vue réelle, ainsi que des publicités, jeux vidéos, mais aussi des musiques de concert pour petites et grandes formations. / julienbellanger.com
Pourquoi écrire de la musique en 2015 ?
Pourquoi pas ? Beaucoup de champs sont ouverts à la composition aujourd'hui, que ce soit en termes de styles ou bien de moyens. A première vue, on peut parfois se dire que tout a été exploré, mais il suffit d'écouter par exemple John Adams, Alexandre Desplat, Amon Tobin ou Tigran Hamasyan pour se persuader du contraire. Et dans mon cas, celui d’un compositeur de musique à l'image, la demande est forte pour des bandes originales.
Quels sont vos trois principaux points de référence dans l'Histoire de la musique, tous genres musicaux confondus ?
- La 3e Symphonie de Beethoven, 1805
- Led Zeppelin I & II (je n'ai pas réussi à choisir), 1969
- La B.O. de "Star Wars V : l'Empire contre attaque",1980
Quel est votre rapport à la technologie, du processus d'écriture jusqu'à la structure compositionnelle ?
Il est total, dans le sens où de la partition au mixage, je travaille sur ordinateur. Dans le cadre de la musique de film, les délais et le budget ne permettent pas forcément d'enregistrer un orchestre, l'ordinateur est d'un grand secours. De plus, il permet un gain de temps énorme en général, et par exemple dans le cas des parties séparées. Enfin, l'informatique musicale ouvre de nombreuses portes, la plus importante étant la démocratisation des outils de travail, mais permet aussi d'ouvrir de nouveaux horizons sonores.
Quel est votre instrument ? Avez-vous une pratique instrumentale intensive parallèlement à vos études de composition ?
J'ai fait de la trompette de 6 à 14 ans, puis de la guitare. Actuellement, je joue assez peu, la composition étant pour moi une activité à plein temps. Néanmoins, je joue encore un peu pour le plaisir, et quand j'ai besoin d'enregistrer guitare ou trompette.
Vous allez recevoir des amis pour une soirée chez vous, quelle playlist avez-vous préparée ?
De l'électro, de la dance, du funk, du rock, des tubes des années 80 et 90, les irremplaçables "Salut c'est cool", et surtout, au bout d'un moment, chacun finit par mettre ce qu'il veut.
Violeta CRUZ
« Écrire de la musique est ma façon d’appartenir à mon époque. »
© DR
Compositrice et artiste sonore, Violeta Cruz (1986 - Bogota) a étudié la composition à l'Université Javeriana à Bogota, Colombie, où elle obtient son diplôme en 2009. En 2013/2014 elle suit le Cursus de Composition et Informatique Musicale à l’IRCAM. Elle est actuellement étudiante en Master de Composition Electroacoustique dans la classe Stefano Gervasoni au Conservatoire National Supérieur de Paris. Le travail de Violeta Cruz inclut des pièces instrumentales, électroacoustiques et des installations sonores. / medias.ircam.fr/x1bfc56
Pourquoi écrire de la musique en 2015 ?
Parce que la musique est vivante. Je ne dis pas qu’elle progresse, qu’elle avance, car cela voudrait dire qu’elle va dans une direction, qu’il y a un « en avant », alors qu'il n’y en a pas. Il existe des questions (esthétiques, sociales, philosophiques) qui traversent l’histoire de la musique (et de l’humanité) et qui, à chaque période, trouvent des réponses différentes. Ces réponses reflètent la pensée d’une société à travers un individu, et le rapport entre celui-ci et son contexte. Écrire de la musique est donc ma façon d’appartenir à mon époque, c’est le langage qui me permet de communiquer mes propres réponses.
Quels sont vos trois principaux points de référence dans l'Histoire de la musique, tous genres musicaux confondus ?
L’Histoire de la musique s’écrit tous les jours et je m’intéresse beaucoup aux dernières lignes. Il est pour moi très important de suivre ce que font les gens d’une demi-génération avant la mienne, des artistes de 30 à 45 ans, parce que je sens que je peux parler avec eux dans un langage très proche.
Mais en allant un peu plus loin dans le passé, John Cage est sans doute une référence très importante pour moi, car la force de son discours a rendu possible mille autres musiques.
Cornelius, un artiste et producteur japonais, m’a aidée à revendiquer mon goût du kitsch et du décalage.
La musique du Pacifique sud-colombien, qui mélange des éléments musicalement opposés appartenant à des géographies opposées - le sable et la chaleur de la population afro-colombienne de la côte et le froid de la montagne de la population indigène des Andes - complexité intranscriptible …
Quel est votre rapport à la technologie, du processus d'écriture jusqu'à la structure compositionnelle ?
La technologie a été la première voie de communication entre ma musique et le présent. Il m’a été impossible de m’en servir sans la problématiser, ce qui m’a permis de politiser mon travail, d’essayer de le faire porter ma lecture critique du présent sans qu’il devienne un manifeste. C’est à partir des réflexions sur l’impact de la technologie sur nos vies que j’ai commencé à mélanger des installations mécaniques et des dispositifs électroacoustiques. En tant qu’outil de travail pour la musique instrumentale, je l’utilise pour faire des allers-retours entre une écriture qui part des idées et une musique qui se modèle à l’écoute, pour revenir au papier.
Quel est votre instrument ? Avez-vous une pratique instrumentale intensive parallèlement à vos études de composition ?
J’ai commencé par jouer du piano, instrument que j’ai abandonné très tôt pour le retrouver dans mon cursus de composition. J’ai aussi étudié la clarinette, mais je n’ai jamais senti l’un ou l’autre comme mon instrument. Pendant les vacances j’essaie à chaque fois d'apprendre à jouer des instrument latino-américains à cordes, comme le Charango, la Jarana ou le Cuatro. J’aime jouer beaucoup d’instruments - et beaucoup de musiques différentes - mais je ne joue d’aucun intensivement et ça me manque.
Vous allez recevoir des amis pour une soirée chez vous, quelle playlist avez-vous préparée ?
J’ai découvert un site internet magnifique grâce à un ami. C’est une carte du monde et des languettes de chaque décennie du XXème siècle. C’est de la musique traditionnelle et populaire du monde entier. Ce n’est pas tout à fait un playlist mais plutôt un jeu participatif.
Denis FARGETON
« Je crois à un rapport créatif à la technologie. »
© DR
Denis Fargeton est né en 1981, il est venu à la musique tardivement. Il suit initialement des formations dans le domaine du cirque, plus particulièrement du jonglage. Il est co-auteur de deux pièces jonglées, portées par le "Collectif Petit Travers", qui ont été jouées dans le monde entier (www.collectifpetittravers.org).
Musicien depuis ses 8 ans, âge auquel il commence le piano et s'intéresse particulièrement au jazz, il décide à 18 ans - parallèlement à ses années de formation - de mettre la musique au centre de sa vie. Il entame ainsi des cours de contrepoint renaissance, d'écriture, de composition instrumentale et électro-acoustique aux Conservatoires de Toulouse et de Lyon.
En 2008, la rencontre avec Robert Pascal, enseignant et compositeur, qui l'encourage à continuer son travail, le décide à se tourner complétement vers la composition, il rentre au CNSMD de Lyon en 2010.
Il a récemment été finaliste du concours de musique acousmatique franco-taiwanais "petites formes 2014", a remporté le Prix Pierre-Jean Jouve, a participé à de nombreuses master class avec notamment Franck Bedrossian, Luca Francesconi, Martin Matalon, Mickaël Jarrel, Philippe Hersant, Heinz Holliger.
Il est invité à diriger sa musique en mai 2014 au conservatoire de Bologne. Il est aussi invité à l'Académie franco-allemande opus XXI qui lui commande une pièce pour ensemble.
Il étudie actuellement avec Philippe Hurel et Michele Tadini.
Pourquoi écrire de la musique en 2015 ?
Effectivement ... Pourquoi ? D'une part, des problèmes nouveaux se posent à la musique - et plus particulièrement à la composition de la musique - qui ne sont pas les problèmes des générations qui nous ont précédé. On pourrait donc tout à fait imaginer qu'on s'y attaque tranquillement et cela semble déjà pouvoir avoir de la pertinence.
D'un autre côté, pour qu'un travail puisse avoir du sens, il faut qu'il rencontre un public, ou que l'espoir qu'il le rencontre un jour soit possible.
L'espoir qu'il le rencontre en différé, je n'y crois pas trop. Comment sera triée, gardée, la masse des productions, des données en tout genre qui prolifèrent à l'ère numérique que nous vivons, pour que des travaux soient redécouverts ? …
La voie qui semble avoir un avenir aujourd'hui et maintenant, est celle du métissage de la musique avec d'autres disciplines que l'institution semble tolérer, et dans laquelle il ne semble pas absurde de travailler. Ramener la musique à ce qu'elle a déjà été au cours son histoire, un mixte de scène, de texte, de danse - et on pourrait ajouter aujourd'hui la vidéo, l'architecture etc. – paraît de bon augure.
Il est peut-être possible alors d'envisager de continuer à travailler sur des musiques exigeantes, tout en donnant à l'institution les produits culturels dont elle se nourrit, et - dans le meilleur des cas - d'en tirer une certaine joie et un certain sens.
Quels sont vos trois principaux points de référence dans l'Histoire de la musique, tous genres musicaux confondus.
Bach, Parker, Ligeti (difficile de n'en citer que trois, et ça fait un peu plof…)
Quel est votre rapport à la technologie, du processus d'écriture jusqu'à la structure compositionnelle ?
Je suis extrêmement favorable à la technologie. On sait qu'elle peut être autant poison que remède, et je vois régulièrement des amis dont j'ai l'impression que leur rapport à elle les perd. La complexité des jeux technologiques prend le pas sur la réalisation de l'objet final et sur sa complexité. C'est raté ! D'autres, moins nombreux me semble-t-il, s'en sortent à merveille, et ce sont souvent ceux qui optent pour des dispositifs relativement simples.
Quoi qu'il en soit, je crois à un rapport créatif à la technologie. Pour revenir à la première question, voilà un des nombreux problèmes qui se posent à la musique contemporaine : comment utiliser la technologie ?
Pour ma part, je l'utilise surtout pour me donner envie. Elle me renvoie des idées que je n'aurais pas imaginées. Libre à moi de prendre, de ne pas prendre, de transformer. Un des enjeux est encore de savoir reprendre la main sur elle. Je crois peu pour l'instant qu'elle puisse se substituer à nous pour échafauder des formes vraiment intéressantes. Peut-être qu'un jour viendra ...
Quel est votre instrument ? Avez-vous une pratique instrumentale intensive parallèlement à vos études de composition ?
Mon premier instrument est le piano, je joue aussi de l'accordéon, mais je ne suis ni pianiste ni accordéoniste. Je ne pratique quasiment pas.
Vous allez recevoir des amis pour une soirée chez vous, quelle playlist avez-vous préparé ?
La plupart du temps je n'ai préparé qu'un repas et je ne mets pas nécessairement de musique.
Valentin HADJADJ
« J'aime croire que chaque projet cinématographique est unique et qu'on peut créer une musique originale sur un film. »
© DR
Encore étudiant au CNSMD de Lyon en musique de film, Valentin Hadjadj a reçu la distinction de Meilleur Jeune Compositeur Européen lors des World Soundtrack Awards du FilmFestival de Gand en 2012, une récompense qui lui a ouvert la porte à de nombreux projets internationaux : il signe la musique du dernier documentaire de Gérard Corbiau (Le Roi Danse, Farinelli), et compose actuellement le score du long métrage d'animation Un Monde Truqué de Franck Eckinci et Christian Desmares. Il collabore avec des grands noms de la musique, comme Thomas Lauderdale, leader de Pink Martini - avec qui il compose la musique du prochain long métrage de Bavo Defurne - le Quatuor Debussy ou le Philharmonique de Bruxelles. / valentinhadjadj.com
Pourquoi écrire de la musique en 2015 ?
Parce que je suis passionné de cinéma, et je trouve incroyable le pouvoir de la musique sur un film. J'aime toucher les gens et je trouve que la musique seule est plus restreinte. En fait la musique et le film sont très complémentaires.
Le reproche qu'on fait souvent à la musique de film c'est que tout se ressemble beaucoup. Pourquoi écrire de la musique en 2015 si c'est pour refaire quelque chose qui a déjà été fait ? J'aime croire que chaque projet cinématographique est unique et qu'on peut créer une musique originale sur un film. Dans les faits on joue souvent avec les codes de la musique de film mais on a toujours une marge de liberté, et je reste attaché à trouver à chaque fois une couleur musicale propre à chaque projet.
Quels sont vos trois principaux points de référence dans l'Histoire de la musique, tous genres musicaux confondus ?
9 compositeurs à l'image sur 10 répondraient d'abord John Williams, alors je vais pas déroger à la règle ! Il a tellement apporté à la musique de film, a une carrière formidable, travaille avec les plus grand réalisateurs... Ça va faire bientôt 60 ans qu'il compose et il est encore une référence.
Ensuite il y aurait Alexandre Desplat, qui je trouve est le compositeur le plus impressionnant du moment. Il arrive toujours à composer la musique dont le film a besoin, qu'elle soit très simple ou au contraire assez écrite, il sait tout faire, et ça marche assez souvent sur les films. Entre la BO de "The Grand Budapest Hotel" et celle de "Godzilla", il y a un monde, alors qu'elles ont été écrites la même année.
Et enfin, je dirais Maurice Ravel, qui est pour moi aussi une référence, tant sur le plan orchestral que harmonique. Il a une sensibilité que j'aime beaucoup.
Quel est votre rapport à la technologie, du processus d'écriture jusqu'à la structure compositionnelle ?
Evidemment quand on compose sur une image, la technologie est indispensable, du moins pour le résultat. Les réalisateurs n'ont souvent aucune connaissance musicale et leur jouer la musique au piano non orchestrée est d'une autre époque. Il faut savoir maquetter, c'est à dire faire sonner la musique du film avec des instruments virtuels de façon temporaire pour que le réalisateur puisse se faire une idée. Mais ce n'est qu'une question de rendu, et je connais beaucoup de compositeurs qui maquettent en dernier lieu et qui passe par la partition pour composer.
Tout dépend de chacun, et du projet. Pour un ciné concert, je préfère passer directement sur la partition. Pour le long métrage que je prépare en ce moment, ou le rendu musical sera un mélange de musique enregistrée et d'instruments virtuels, je travaille directement sur un séquenceur, ce qui permet d'aller plus vite et d'entendre assez précisément ce qu'on entend, d'autant que les banques de sons aujourd'hui sont assez bluffantes.
Il m'arrive de chercher des thèmes ou des harmonies au piano, mais je passe 95% de mon temps de travail devant un ordinateur. Et depuis tout à l'heure je ne parle que de musique d'orchestre mais l'électro a énormément apporté à la musique de film, et c'est maintenant une part indispensable de notre métier. Et l'électro, c'est toujours avec un ordinateur.
Quel est votre instrument ? Avez-vous une pratique instrumentale intensive parallèlement à vos études de composition ?
J'ai fait beaucoup de guitare et un peu de cor avant de rentrer au CNSMD de Lyon, mais depuis que j'y suis, je n'ai pas beaucoup retouché à mon instrument. Ca m'arrive de temps à autre mais ça ne me manque pas plus que ça...
Vous allez recevoir des amis pour une soirée chez vous, quelle playlist avez-vous préparée ?
Je vais pas vous mentir, j'apprécie autant une Britney qu'un Britten alors si c'est pour une soirée, je choisirai plutôt Britney et consorts !
Etienne KIPPELEN
« Il ne faut pas craindre la création, quel que soit son lien à l'histoire. »
© DR
Après des études de piano, d'accompagnement, d'orchestration et de composition dans les conservatoires d'Aix-en-Provence, de Marseille et de Paris, Etienne Kippelen poursuit son cursus au CNSMD de Paris où il obtient trois prix en analyse, esthétique, et harmonie. Agrégé et docteur en musique, il enseigne depuis 2006 à l'Université d'Aix-Marseille et, récemment, au CRR de Paris. Il termine actuellement ses études en master de composition au CNSMD de Lyon, dans la classe de Philippe Hurel.
Pourquoi écrire de la musique en 2015 ?
C'est une éthique, un mode d'expression et de pensée. Composer est aussi une école de la rigueur et de la minutie. Que la majeure partie de la musique jouée soit aujourd'hui ancienne ou issue de l'industrie culturelle aurait tendance à renforcer la nécessité absolue de créer pour ceux qui en éprouvent le besoin. Le danger de la contemporanéité est que le meilleur côtoie le médiocre : c'était déjà le cas du temps de Mozart, il y avait Salieri, Dittersdorf, puis Czerny, Pleyel, Mercadante, etc., des compositeurs très estimés mais qui n'ont pas durablement marqué leur art. D'ailleurs, Telemann était plus apprécié que Bach, Rossini davantage que Beethoven ; à défaut de prévoir ce qui restera à l'avenir, il ne faut pas craindre la création, quel que soit son lien à l'histoire.
Quels sont vos trois principaux points de référence dans l'Histoire de la musique, tous genres musicaux confondus ?
Le madrigal et l'avènement de l'opéra ont été un tournant au début de l'époque baroque, l'un des plus importants dans l'histoire de la musique, qui n'a probablement pas eu d'effet comparable avant le Sacre du Printemps de Stravinsky et probablement la musique de Varèse à la même époque.
Quel est votre rapport à la technologie, du processus d'écriture jusqu'à la structure compositionnelle ?
Je ne fais actuellement aucun usage de la technologie, bien que nous y soyons fortement encouragés lors des études au CNSM et que la plupart de mes confrères y trouvent d'excellents outils pour formaliser les processus. L'usage de l'informatique musicale n'est pas neutre esthétiquement et, quelle que soit la ductilité et la variété des logiciels employés, induit une forme de pensée qu'on est libre d'adopter ou non.
Quel est votre instrument ? Avez-vous une pratique instrumentale intensive parallèlement à vos études de composition ?
J'ai appris très jeune le piano et le pratique toujours, bien moins intensément qu'autrefois. J'accompagne cependant toujours des chanteurs et je donne des concerts-découverte, où, associé à un interprète plus talentueux, je présente au public des éléments sur les œuvres interprétées. Ce type de concert, très apprécié du grand public, me permet de conserver un lien indispensable avec la scène et avec le répertoire de nos meilleurs prédécesseurs.
Vous allez recevoir des amis pour une soirée chez vous, quelle playlist avez-vous préparée ?
Tout sauf de la musique savante, classique ou contemporaine !
Adrien TRYBUCKI
« La musique est un reflet des artistes qui la mettent en vie, dans leur lecture des héritages du passé, mais aussi dans l’acte de création. »
© DR
Né en 1993 à Toulouse, Adrien Trybucki poursuit actuellement ses études dans la classe de P. Hurel au CNSMD de Lyon. Ses œuvres sont interprétées en France et en Italie par l’Orchestre National d’Île-de-France (04/2014), le Divertimento Ensemble (06/2015) ou bien encore la Maîtrise de Toulouse (02/2014), et éditées par les Éditions Durand et BabelScores. En février 2014, il remporte le concours Île de créations pour sa pièce d’orchestre Cinq Visions, créée Salle Gaveau (Paris) et diffusée sur France Musique. De 2004 à 2014, il a étudié et obtenu quatre DEM au CRR de Toulouse dans les classes de composition (instrumentale, vocale et électroacoustique) de B. Dubedout et G.-O. Ferla, de violoncelle, de direction d’orchestre, d’écriture, d’analyse et d’Histoire des Arts. Il a également travaillé auprès de P. Leroux et J. Fineberg (Composit New Music Festival). : www.adrientrybucki.fr
Pourquoi écrire de la musique en 2015 ?
La musique est un art vivant, qui a toujours évoluée avec la société dans laquelle elle a pris place, et il n’y a pas de raison de s’arrêter ! Au delà de cette évidence il y a également le fait qu’elle est un reflet des artistes qui la mettent en vie, dans leur lecture des héritages du passé, mais aussi dans l’acte de création. Dans ce sens écrire de la musique est davantage une proposition, l’envie de créer un échange.
Quels sont vos trois principaux points de référence dans l'Histoire de la musique, tous genres musicaux confondus ?
Il est difficile pour moi de trouver des points de références précis tant les influences peuvent être multiples. Si je devais dégager trois éléments, ce serait sûrement les musiques “savantes” occidentale et extra-européennes, les musiques populaires de tradition orales et de manière indirecte les musiques du XXe siècle marquées par l’utilisation de technologies nouvelles liées notamment à l’électricité. Mais au-delà de cela il y a aussi les multiples influences extra-musicales qui rentrent en compte et qui sont sûrement autant voire plus importantes.
Quel est votre rapport à la technologie, du processus d'écriture jusqu'à la structure compositionnelle ?
La technologie au niveau de l’écriture est pour moi une aide dans le calcul et dans la mise en place de la structure de l’œuvre, permettant essentiellement un gain de temps. Ensuite, l’électronique qui est présente dans certaines de mes pièces est a priori traitée de la même manière qu’un instrument traditionnel ; sur l'aspect sonore ensuite l’influence réciproque de l’un sur l’autre pourra être le point de départ de nouvelles idées compositionnelles.
Quel est votre instrument ? Avez-vous une pratique instrumentale intensive parallèlement à vos études de composition ?
Je suis violoncelliste, instrument que je pratique moins aujourd’hui du fait de mes activités de composition. Mon rapport à l’instrument est double vis-à-vis de ces dernières, tout d’abord du point de vue du geste instrumental et de sa prise en compte dans l’écriture. Ensuite par l'opportunité d’avoir pu jouer dans différents ensembles de différents styles et d’appréhender ainsi une certaine forme d’écoute et de polyphonie.
Vous allez recevoir des amis pour une soirée chez vous, quelle playlist avez-vous préparée ?
Tout dépend !
Charles VAN HEMELRYCK
« Les hommes n'ont pas changé au point de ne plus avoir besoin d'une musique au présent."
© DR
Né à Cherbourg en 1981, Charles van Hemelryck étudie à la Sorbonne la philosophie et la musique simultanément avant de se consacrer à la composition. Au CNSMD de Lyon, il développe un intérêt pour la musique médiévale, l'ethnomusicologie et la théorie de la signification musicale. Son passage à l'Académie Sibelius (2013-2014) éveille en lui la volonté d'expérimenter et d'explorer d'autres mondes musicaux, notamment à travers la microtonalité et la musique mixte. / soundcloud.com/charles-van-hemelryck
Pourquoi écrire de la musique en 2015 ?
Il n'est pas vain d'écrire de la musique d'aujourd'hui, surtout aujourd'hui! A une époque où la musique est omniprésente dans notre environnement (supermarchés, magasins, restaurants, transports publics...), où l'on peut écouter de la musique du moyen âge aux derniers tubes électro sur son smartphone, on pourrait croire que l'homme satisfait tous ses besoins d'écoute. Or, les hommes n'ont pas changé au point de ne plus avoir besoin d'une musique au présent.
La musique contemporaine remplit certaines des fonctions de l'art, comme la libre exploration du monde sonore ou la conception de nouvelles manières de dire en musique (ou au contraire, de ne pas dire), sans lesquelles certaines idées resteraient sans effet. Elle assure également la fonction d'être une "nourriture spirituelle", voire dans certains cas, une stimulation intellectuelle. Enfin, elle peut toujours avoir un rôle de catharsis, de "purgation des passions".
Quels sont vos trois principaux points de référence dans l'Histoire de la musique, tous genres musicaux confondus ?
Premièrement, l'apparition de la notation de la musique en occident au IXe siècle. Nous sommes les très lointains héritiers de cette tradition.
Deuxièmement, la querelle des bouffons, emblématique des conflits esthétiques qui se produisent de manière plus ou moins cyclique dans l'histoire. L'ouverture à de nouvelles valeurs artistiques passe souvent par des phases de polémique. Je crois que chaque compositeur doit faire l'épreuve de la confrontation d'une tradition, nécessairement conservatrice, avec le désir de transgression. La liberté du créateur n'est rien sans ce dépassement des formes anciennes, mais s'il fait table rase par une trop grande exigence de modernité, que reste-t-il de commun, de communicable et donc de compréhensible dans son œuvre?
Troisièmement, la création des synthétiseurs et de logiciels qui ont ouvert tout un champ de possibilités d'élaboration de nouvelles sonorités.
Quel est votre rapport à la technologie, du processus d'écriture jusqu'à la structure compositionnelle ?
Je m'intéresse de plus en plus à la fabrication synthétique de sons, et à la modification en temps réel du son d'un instrumentiste. Depuis peu, j'utilise un logiciel permettant d'explorer le monde des micro-intervalles et compte acquérir un synthétiseur spécialement conçu pour cet effet. Je considère être au tout début de mon approche des moyens offerts par la technologie.
Quel est votre instrument ? Avez-vous une pratique instrumentale intensive parallèlement à vos études de composition ?
La guitare était mon premier instrument, que j'ai joué à un haut niveau, mais je joue surtout du piano désormais. Je prends le temps de pratiquer régulièrement, mais pas suffisamment pour me produire en tant qu'interprète.
Vous allez recevoir des amis pour une soirée chez vous, quelle playlist avez-vous préparée ?
Si c'est une soirée plutôt intime, j'aime beaucoup passer de la musique d'Antonio Carlos Jobim, ou du jazz, par exemple Wes Montgomery, Bill Evans, John Coltrane... Si c'est une soirée plus "festive", je penche pour de la house music comme celle éditée par l'excellent label suédois Local Talk Records. Enfin, lorsque je souhaite partager mon goût pour la musique contemporaine, j'aime faire découvrir à mes amis tout particulièrement la musique de la scène finlandaise, très active et stylistiquement variée.
(Dossier coordonné par Alain COCHARD)
Avril 2015
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