Journal
Printemps de la Mélodie 2022 de l’Académie Francis Poulenc à la salle Cortot – Hé ! bonsoir la Lune ! – Compte-rendu
Le printemps se fait quelque peu prier cette année ; il était en tout cas bien là, le 20 mars à Cortot, avec le rendez-vous rituel de l’Académie Francis Poulenc de Tours. On a le souvenir de « Printemps de la Mélodie » certes passionnants mais parfois un brin... surabondants. Celui de 2022 marquera les mémoires par l’équilibre de sa composition et la rigueur de son timing, sans parler de la qualité d’interprètes parmi lesquels, à côté d’artistes déjà bien repérés, on a pu faire de belles découvertes.
En japonais même
Sur le thème « Influences croisées », la première partie du Printemps 2022 mettait à l’honneur des pages de compositeurs étrangers sur des poèmes français, en langue originale ou traduits, mêlées à des partitions de musiciens français sur des poèmes étrangers, originaux ou traduits. De Mozart sur les vers de Houdar de la Motte à Henri Collet revisitant des chansons populaires espagnoles, bien défendues par Robert Expert et Jeff Cohen, ce volet initial aura fait voyager l’auditeur et pris des tournures parfois très exotiques. On y trouvait par exemple Okiyo (Printemps) de Bashō, en version originale, mis en musique par Laurent Coulomb (né en 1977), ou encore Ochiba, traduction de la Chanson d’automne de Verlaine, qui a inspiré une mélodie au Japonais Kunihiko Hashimoto (1904-1949). Il serait trop long de commenter en détail la vingtaine d’épisodes (d’une ou plusieurs mélodies) formant ces « Influences croisées ». On y a en tout cas remarqué le style et le goût du genre si particulier qu’est la mélodie d’Enguerrand de Hys (avec la pianiste Masumi Fukuya), d’Eléonore Pancrazi (avec Jeff Cohen), remarquable dans la Mort d’Ophélie de Berlioz, de Clémentine Decouture (avec Philippa Neuteboom au clavier, et parfois la flûtiste Maholy Saholiariliva) pour des incursions japonaises ... mais aussi chinoises ! (deux très beaux Poèmes chinois op. 12 d’Albert Roussel).
Côté anglo-saxon, il faut saluer le prenant onirisme d’Ingrid Perruche (avec Jeff Cohen) dans le verlainien Sky above the roof de Vaughan Williams, de poétiques Mélodies passagères de Barber par la mezzo Camille Bauer (avec Pierre Vénissac) ou encore l’intensité d’Engerrand de Hys dans trois des Illuminations de Britten (Antique, Royauté, Marine). Sans oublier un savoureux Fancy de Poulenc/Shakespeare par François Le Roux et l’irremplaçable Jeff Cohen !
Belles découvertes
Du côté du monde germanique, on a été sensible au sens des caractère de Louise Leterme, accompagnée par Vincent Leterme dans les très réussis Galgenlieder (Chansons du gibet) de Vincent Bouchot (sur des poèmes de Christian Morgenstern). Reste que l’un des grands moments de la première partie sera venu de Joseph-Guy Ropartz avec les Quatre Poèmes d’après l’Intermezzo de Heine confiés à Joël Terrin (photo, accompagné par Cole Knutson). Passionné par la mélodie, voix riche, souple, d’une clarté d’émission et de diction exemplaires, le jeune baryton suisse a littéralement saisi son auditoire par son approche aussi sobre que bouleversante de ce déchirant chef-d’œuvre de la mélodie française du tournant du siècle.
Autre très belle surprise du côté des voix graves, la basse-baryton Adrien Fournaison (avec Natallia Yeliseyeva au piano), chanteur passé par l’Académie Jaroussky, n’est pas passé inaperçu dans Déception de Tchaïkovski ou Mazurka de Francis Poulenc. Beauté du timbre, intelligence musicale, présence scénique : on entendra reparler de ce jeune artiste !
Enfin, toujours du côté des découvertes, chez les dames cette fois, il faut saluer la simplicité et le frémissement poétique de la soprano Camille Chopin (avec Héloïse Bertrand Olari) dans le rare cycle Nouveau Printemps de Messager, tout comme l’aisance et la justesse stylistique avec lesquelles la mezzo Séraphine Cotrez (avec Philippa Neuteboom, puis Jeff Cohen) est passée de Gounod (Mignon) à Hahn (La Barcheta) puis Weill (Je ne t’aime pas).
Clémentine Decouture © clementinedecouture.com
Un thème et variations en mélodies
« Autour de La lune blanche » : pour la seconde partie du « Printemps », François Le Roux a confié à Yoan Héreau la conception d’un programme autour du célèbre poème tiré de La Bonne Chanson de Paul Verlaine – « La lune blanche/ Luit dans les bois ... » . Ponctuée de textes (signés Gregh, Banville, Baudelaire, Mallarmé, Verlaine, Carême, De Vilmorin) – parfaitement en situation et dits avec art par François Le Roux) – cette manière de thème et variations en mélodies a montré la surprenante diversité des inspirations nées d’un même poème et permis de retrouver les qualités des interprètes précédemment mentionnés.
Enguerrand de Hys © clementinedecouture.com
La poésie et le tact d’Enguerrand de Hys
A plusieurs reprises, Engerrand de Hys y a donné la mesure de son sens poétique et de son tact expressif, en duo au côté de Clémentine Decouture pour Rêvons, c’est l’heure de Massenet, et, non moins charmeur, Nocturne de Louis Aubert, avec Ingrid Perruche, ou en solo dans la Lune blanche de Noël Lee, pétrie d’étrangeté, celle de Delius, sorte de procession secrète, ou encore de Patrick Burgan, très mystérieuse, mais aussi dans Apaisement de Chausson, restitué avec toute la sereine plénitude requise.
On n’a pas moins savouré L’Heure exquise de Sorabji – qui n’est pas que l’auteur du titanesque Opus Clavicembalisticum ! –merveilleuse bulle de rêve dans laquelle Clémentine Decouture et Musumi Fukuya nous introduisent avec autant d’art qu’elles donnent vie à la nuit parfumée du Clair de lune de Canteloube et à l’inquiétante Lune blanche luit dans les bois de Vincent Bouchot.
Le naturel et la plénitude d’Adrien Fournaison
Louise et Vincent Leterme savent tirer parti de la sensation d’espace qu’engendre La Lune blanche (2012) de Philippe Bodin, et ne réussissent pas moins celle, prégnante, de l’Italienne Marta Nervi Vukovic (1894-1980).
Très remarqué en première partie, Joël Terrin convainc tout autant dans C’est l’heure exquise de Graciane Finzi, pièce de 2013 qu’il pare avec son pianiste d’une enveloppante douceur, ou encore La Lune blanche de Stravinski, d’un lyrisme intense mais exempt de tout épanchement. Quant à Adrien Fournaison, sa Helle Nacht de Clemens von Franckenstein (1875-1942) et sa Lune blanche lui dans les bois de Fauré, d’un naturel et d’une plénitude admirables, confirment que l’on à la affaire à un authentique tempérament de mélodiste.
En bref, un « Printemps de la mélodie » de la meilleure eau, qui confirme s’il en était besoin, la pertinence de l’entreprise lancée il y a un quart de siècle par François Le Roux, tant pour le patrimoine musical que le futur des jeunes chanteurs
Alain Cochard
Paris, Salle Cortot, 20 mars 2022
Photo © Michel Bornet
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