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Proserpine de Camille Saint-Saëns renaît à l’Opéra Royal de Versailles – Atouts réunis – Compte-rendu
Le début de saison de l’Opéra Royal de Versailles se place résolument sous le signe de la rareté. Quatre jours avant Les Horaces de Salieri en version concert, on a pu découvrir, dans les mêmes conditions, Proserpine de Camille Saint-Saëns. Une résurrection permise grâce aux efforts déployés par le Palazzetto Bru Zane. Celui-ci gâte d’ailleurs le compositeur français en cet automne avec, outre Proserpine, un Festival Saint-Saëns à Venise, la parution de la correspondance du musicien avec Jacques Rouché (1) et des parutions discographiques, dont une remarquable intégrale des cycles de mélodies par Tassis Chrystoyannis et Jeff Cohen (2). Et ce n’est que le commencement d’une saison riche sur tous les plans (3) qui aura pour point d’orgue les représentations du Timbre d’argent à l’Opéra-Comique en juin prochain.
Mais pour l’heure Proserpine donc... L’ouvrage naquit entre 1886 et 1887, sur un livret de Louis Gallet tiré d’une pièce d’Auguste Vacquerie. Son élaboration procura un grand bonheur à Saint-Saëns, qui – modeste – confiait à Gallet : « Vous n’avez pas idée de la joie de travailler avec vous et Vacquerie, vous êtes deux ailes, quel dommage qu’entre ces deux ailes il n’y ait qu’un oison ! »
Troisième collaboration du compositeur avec Gallet, après la Princesse jaune et Etienne Marcel, Proserpine a pour personnage principal « une courtisane italienne du XVIe siècle, une de ces belles hétaïres qui habitaient des palais peuplés de chefs-d’œuvre où elle ressuscitaient les fastes des Phrynés et des Aspasies de l’antiquité » (4) « Deux jeunes gens se jouent du cœur d’une femme, et cette femme en meurt » : Saint-Saëns a résumé on ne peut plus brièvement l’argument d’un drame lyrique en quatre actes dont la création se tint le 14 mars 1887 à l’Opéra-Comique, avec Caroline Salla (qui tenait le rôle d’Hélène lors de la création du Timbre d’argent dix ans auparavant) dans le rôle-titre, sous la baguette de Charles Ponchard.
Du profond enthousiasme d’un Gounod aux critiques d’un Bellaigue ou d’un Moreno, les réactions face à Proserpine furent aussi nombreuses que variées, la richesse de la partie orchestrale lui valant le reproche d’une dimension trop symphonique, trop « wagnérienne » ... L’incendie de Favart en mai 1887 et la destruction d’une bonne partie du matériel et de la totalité des décors empêchèrent une reprise rapide. Ce n’est finalement qu’en 1899 que Paris revit l’opéra (sans parler des représentations à Alexandrie en 1902 (4) et au Caire en 1903).
Le compositeur « persistait à trouver Proserpine excellente » et avait la conviction que « l’avenir lui donnerait raison », mais l’œuvre n’a jamais trouvé sa place au répertoire de son vivant, ni après sa mort. Un chef-d’œuvre du calibre de Samson et Dalila qui serait resté dans l’oubli ? Certes pas, mais une partition dont l’exhumation se justifie pleinement, surtout quand elle s’effectue dans des conditions aussi idéales que celles réunies à l’Opéra Royal.
« Symphonique, mélodique, pittoresque, dramatique » : ainsi Louis Gallet caractérisait-il chacun des quatre actes d’un drame dont on peut comprendre qu’on lui reprocha parfois un caractère composite. Mais en tout cas, le bonheur d’une découverte, infiniment séduisante, était bien présent de bout en bout à Versailles.
Ulf Schirmer © ulfschirmer.com
Et puisque la dimension symphonique constitue, il est vrai, un aspect essentiel de Proserpine, commençons par saluer le travail admirable de Ulf Schirmer à la tête de l’Orchestre de la Radio de Munich. Comme dans Cinq-Mars de Gounod ou Dante de Godard, les instrumentistes allemands et leur chef manifestent une compréhension parfaite du répertoire français. Toujours intensément engagé, mais sans aucune brusquerie ni lourdeur, Schirmer, complice et attentif aux chanteurs, soigne les couleurs, les textures, souligne la vie interne de la musique en prêtant continûment attention aux parties intermédiaires – face une partition ouvragée avec autant d’art, il a de quoi faire !
La distribution rassemble des voix coutumières des productions de Palazzetto, qui a su constituer depuis une demi-douzaine d’années une vraie équipe d’interprètes découvreurs passionnés. A commencer par Véronique Gens (photo) dont la Proserpine possède l’autorité et le sens tragique requis, des ambiguïtés dans l’expression aussi qui traduisent une approche très fouillée du personnage, à l’instar d’une Marie-Adeline Henry qui épargne toute fadeur à celui d’Angiola. Frédéric Antoun campe un Sabatino solaire et d’une grande beauté de ligne. Vraie leçon de chant aussi que la prestation de Jean Teitgen en Renzo. Andrew-Foster William fait son miel du savoureux rôle de Squarocca et l'on goûte le relief et le mordant que Mathias Vidal apporte à Orlando, emploi certes secondaire mais impeccablement servi, tout comme ceux d’Ercole (Philippe-Nicolas Martin), Filippo/Gil (Artavazd Sargsyan) et de la Religieuse (la lumineuse Clémence Tilquin).
Distribution d’une homogénéité exemplaire – et d’une diction parfaite – à laquelle s’ajoute un autre fidèle des productions du PBZ, le Chœur de la Radio Flamande (préparé par Hervé Niquet), dont la prestation à l’Acte II emporte l’adhésion par sa tenue. Version de concert ? Certes, mais les protagonistes de gardent bien d’une interprétation « en rang d’oignons ». Des entrées et sorties, des mouvements, des regards, des expressions viennent compenser en partie l’absence du jeu scénique que la partition appelle. Autant dire que Proserpine a mis tous les atouts de son côté.
Vraiment tous : parallèlement à l'exécution à Versailles, mais aussi à Munich deux jours plus tôt, les micros ont capté un ouvrage qui viendra s’inscrire – vite on l’espère – dans la collection Opéra français du Palazzetto Bru Zane, où figure déjà, rappelons-le, une remarquable version des Barbares de Saint-Saëns (5) dirigée par Laurent Campellone.
Alain Cochard
(1) Correspondance entre Camille Saint-Saëns et Jacques Rouché, présentée et commentée par Marie-Gabrielle Soret (Actes Sud/ Palazzetto Bru Zaneà
(2) Intégrale des cycle (Mélodies persanes, Cinq Poèmes de Ronsard, Vieilles Chansons, La Cendre rouge)1 CD Aparté AP 132
(3) A paraître : « Camille Saint-Saëns, le compositeur globe-trotter », par Stéphane Leteuré (Actes Sud/PBZ, parution janvier 2017 / Mélodies avec orchestre, Yann Beuron, Tassis Christoyannis (Alpha Classics, parution printemps 2017)
(4)Saint-Saëns dans le programme rédigé pour une reprise de Proserpine, en 1902, au Théâtre Zizinia d’Alexandrie / www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-1-proserpine-par-camille-saint-saens
(5) Les Barbares, dir. Laurent Campellone (enregistré à Saint-Etienne en 2014) 2CD PBZ/ Opéra français
Saint-Saëns : Proserpine (version de concert) – Versailles, Opéra royal, 11 octobre 2016.
Photo Véronique Gens © Alexandre Weinberger VirginClassics
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