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Rencontre avec Ann-Estelle Médouze, premier violon supersoliste de l’Orchestre national d’Île-de-France (Paroles de violon solo / 2) – « J’aime cette sensation de faire partie d’un tout et d’être en même temps en première ligne »

 

1974 ... La vie musicale française était en plein dans le grand « plan décennal pour la musique » lancé par Marcel Landowski (Directeur de la musique, de l’art lyrique et de la danse depuis 1966 dans ce qui se nommait alors Ministère des Affaires Culturelles) ... Il y a un demi-siècle, le 18 janvier 1974 très précisément, naissait l’Orchestre national d’Île-de-France. Portée sur les fonts baptismaux par le trop oublié Jean Fournet (en activité jusqu’en 1982), la phalange francilienne fut par la suite conduit par Jacques Mercier, Yoel Levi, Enrique Mazzola et c’est Case Scaglione qui, depuis 2019, assure la direction musicale d’un orchestre au profil singulier du fait de la mission régionale qui est la sienne, de l’itinérance qu’elle implique et de la variété des publics auxquels il s’adresse.

Les 50 ans de l’Ondif offre l’occasion de poursuivre notre série « Paroles de violon solo » en rencontrant Ann-Estelle Médouze, qui occupe depuis 2004 le poste de Premier violon supersoliste (fonction partagée avec Alexis Cardenas). Une occasion toute trouvée, et d’autant plus justifiée que Case Scaglione a confié la partie soliste du Concerto op.77 de Brahms à la violoniste dans le programme « Nouveau Monde » que l’Ondif donne à huit reprises lors de sa tournée anniversaire, du 19 au 28 janvier, à Brunoy, Provins, Paris, Puteaux, Lieusaint, Rungis, Maisons-Alfort et Villeparisis.


 
 
Comment avez-vous été amenée à faire choix de la carrière de premier violon super soliste que vous menez depuis 2004 à l’Orchestre national d’Île-de-France ?
 
J’étais encore en troisième cycle au CNSMDP à l’époque où j’ai passé le concours à l’Ondif. Un poste qui me tentait parce qu’il associait le fait de jouer en groupe avec un côté plus « exposé ». Je n’avais pas tellement fait d’orchestre avant, mais énormément de musique de chambre en revanche. J’ai passé le concours, avec succès, et j’ai petit à petit appris un métier qui me plait beaucoup – vingt ans après je suis toujours à ce poste !  J’aime cette sensation de faire partie d’un tout et d’être en même temps en première ligne. Je suis attachée aussi au rôle de fédératrice que j’exerce au sein d’un groupe, celui des violons notamment, en insufflant une énergie que je partage avec mes collègues.
 
Après des études axées sur le solo et la musique de chambre, il vous a donc fallu apprendre le métier de super soliste : comment l’Orchestre s’est-il comporté à votre égard ?
 
Les collègues sont très sympathiques à l’Ondif. J’avais 24 ans au moment de mon arrivée ; ils ont été indulgents et m’ont permis d’apprendre et de me sentir bien à ma place. C’est un apprentissage qui prend du temps ; se former au répertoire, comprendre comment la masse sonore de l’orchestre fonctionne, comment les relations s’organisent entre les différents pupitres.
 
© Dorian Prost
 
Vous souvenez-vous de la première grande œuvre symphonique que vous avez jouée avec l’Ondif ?
 
Parfaitement : il s’agissait de L’Oiseau de feu. J’étais très impressionnée par la masse sonore en action dans cette partition !

Votre entrée dans l’Orchestre a correspondu au moment Yoel Levi prenait la succession de Jacques Mercier en tant que chef principal. En poste jusqu’en 2012, il a été suivi de deux directeurs musicaux : Enrique Mazzola, de 2012 à 2019, puis Case Scaglione. Comment l’orchestre a-t-il évolué durant ces deux décennies ?
 
L’évolution a été constante et chaque chef nous a permis d’acquérir de nouvelles choses. Yoel – qui faisait partir du jury qui m’a sélectionnée – a été là pour installer une forme de stabilité avec une grande exigence dans le travail et nous sommes passés à un niveau supérieur. Puis Enrique est arrivé avec cette fougue et cette légèreté qu’on lui connaît ; nous avons fait pas mal d’opéras italiens avec lui et il a apporté beaucoup de virtuosité, de qualité de son, de souplesse. Depuis son arrivée, Case assied quelque chose de très solide, notamment par ses choix dans le grand répertoire symphonique. Chaque chef, à sa manière, nous permet d’aller quelque part, de nous renouveler, de grandir. Avec le recul dont je dispose, je mesure à quel point la formation est en perpétuel mouvement et évolution –évolution qui tient aussi aux nouvelles recrues de l’orchestre, qui apportent toute leur énergie.
 
Vous évoquez les nouvelles recrues. Avez-vous le sentiment qu’au fil du temps les instrumentistes arrivent mieux préparés au métier de musicien d’orchestre ?
 
Vous touchez là à une question un peu sensible ... En France la préparation au métier d’orchestre est largement insuffisante, et il faut le déplorer. Les choses vont sans doute un peu mieux au Conservatoire ; il y a des choses absurdes que l’on entendait il y a vingt ans et que l’on n’entend heureusement plus aujourd’hui. Reste que nos établissements d’enseignement musical ne préparent pas assez, et ce dès le plus jeune âge, à jouer ensemble. Nous sommes très loin ce qui se passe en Allemagne ou en Angleterre où, dès que l’on attaque un instrument, on est amené à faire de l’orchestre sérieusement. On le voit dans les concours ; on peut avoir affaire à des gens qui jouent très bien mais qui manquent de préparation, de culture orchestrale.
 

Case Scaglione © Kaupo Kikkas

L’Orchestre national d’Île-de-France, comme son nom l’indique, rayonne sur un vaste territoire et se produit dans lieux très divers ; un mode de fonctionnement qui est loin d’être simple ...
 
Ce qu’il y a de difficile c’est de devoir jouer dans des salles et des acoustiques différentes, qui exigent des placements différents sur la scène. On arrive, on s’assied et il faut très rapidement prendre ses repères, c’est compliqué et ça constitue un vrai challenge. Et puis, que de kilomètres parcourus entre chaque concert ... Ce qui est merveilleux dans ce mode de fonctionnement  – et c’est une chose qui me tient à cœur – c’est de pouvoir croiser des publics très différents, et nombre de musiciens de l’Ondif sont sensibles à cela. On joue à la Philharmonie et à Versailles, à Sarcelles et à Rungis ; nous jouons devant tout le monde : cela a du sens pour moi. Se produire un soir devant des gens qui vont souvent au concert, le lendemain devant des personnes dont ce sera le seul et unique concert classique de l’année. Nous faisons beaucoup d’actions culturelles aussi et nous jouons pour des jeunes qui parfois entendent de la musique classique pour la première fois de leur vie : nous sommes utiles.
Notre mode de fonctionnement nous amène à réfléchir un peu différemment en ce qui concerne la politique de chefs invités. A l’excellence musicale doit s’ajouter une souplesse et une aptitude à s’adapter à la variété des salles que j’évoquais auparavant.
 

© Christophe Urbain

Les actions pédagogiques que vous venez d’évoquer comptent beaucoup pour vous ...
 
Nous sommes toujours dans cette politique de démocratisation de la musique classique, qui me semble si importante. Nous croisons beaucoup de jeunes qui ne la connaissent pas. Après ... à chacun de décider s’il veut revenir à un concert au pas.
J’ai le souvenir d’expériences très fortes où nous sommes retrouvés à jouer dans des foyers où les gens nous avaient préparé à manger. Parents et enfants nous écoutaient, bouleversés par la musique, par le fait aussi que l’on aille chez eux et que l’on partage avec eux quelque chose de tellement éloigné de leur quotidien.
 
Parmi les gens qui ont pu être touchés par ces actions, avez-vous parfois vu naître des vocations musicales ?
 
On trouve dans nos rangs des musiciens qui ont entendu l’orchestre il y a trente ans dans leur banlieue d’Île-de-France ; de très belles histoires ...
 
Quid des activités chambristes des musiciens de l’Ondif ?
 
La saison comprend quelques programmes, mais moins nombreux qu’à une certaine époque. J’aimerais que l’orchestre puisse remettre ça sur le tapis. En revanche, à côtés des grands effectifs symphoniques, nous proposons des programmes plus chambristes, ce qui permet d’aborder de nouveaux répertoires et de jouer dans des salles plus petites. Il n’y a pas si longtemps nous avons par exemple donné la Sérénade de Tchaïkovski et un divertimento de Mozart. Cette variété des ouvrages abordés fait du bien aux musiciens.
 

Qu’en est-il de vos activités hors de l’Ondif ? J’ai vu que vous avez monté des projets en Martinique. ...
 
J’y ai en effet pendant pas mal d’années mis en place des opérations à but caritatif au profit des enfants autistes. J’ai par ailleurs enseigné le violon pendant un petite dizaine d’années au Pôle Sup 93, mais j’ai arrêté il y a peu pour disposer de plus de temps. Ça a été une expérience très positive et j’espère pouvoir un jour renouer avec la pédagogie. Je fais aussi partie de l’ensemble Sésame, une formation à géométrie variable –  qui a enregistré l’intégrale de la musique de chambre de Ravel pour NoMadMusic – avec laquelle je travaille de façon régulière.
 
Durant votre période d’activité au Pôle Sup 93, avez vous eu l’occasion de préparer des violonistes au métier d’orchestre ?
 
J’ai en effet eu affaire à certains musiciens qui s’orientaient dans cette voie. Et avant de prendre mon congé j’ai dit à la directrice qu’il serait formidable d’ouvrir une classe de préparation aux traits d’orchestre etc. On verra ... C’est en tout cas une chose qui me plairait énormément.
 
La série du 50e anniversaire de l’Ondif va particulièrement vous mettre en valeur puisque vous y serez à huit reprises la soliste de Concerto pour violon de Brahms du 19 au 28 janvier dans un programme « Nouveau Monde » comprenant en outre la Symphonie n°9 de Dvořák. Pourquoi avoir choisi ce concerto en particulier ?
 
Cela fait un bon moment que Case me demande quel concerto j’aimerais jouer avec l’orchestre. J’ai proposé Brahms et, à ma grande joie, ce choix a été validé. Un concerto que j’adore tout simplement, magistral aussi bien dans sa structure que son expression. Une œuvre vraiment complète, très équilibrée et riche dans la relation soliste-orchestre. Ce sera un grand moment de bonheur ! »
 
Propos recueillis par Alain Cochard le 14 décembre 2023

 

 « Nouveau Monde » - Tournée du 50e anniversaire de l’Orchestre national d’Île-de-France
Œuvres de Brahms et Dvořák

Du 19 au 28 janvier 2023, à Brunoy, Provins, Paris, Puteaux, Lieusaint, Rungis, Maisons-Alfort & Villeparisis.

https://orchestre-ile.com/concert/nouveaux-mondes-833
 
Photo ©  Dorian Prost

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