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Robert le Diable de Meyerbeer à l’Opéra de Bordeaux – En dépit des jaloux – Compte-rendu
Grâces soient donc rendues à Marc Minkowski d’avoir programmé, fût-ce en version de concert, une œuvre qui lui est chère. Alors, certes, le livret de Robert le Diable repose sur un fantastique qui peut sembler désuet ; oui, certains airs semblent répéter à l’infini les mêmes vers de quatre syllabes ; mais la musique n’en est pas moins d’une inventivité et d’une efficacité qui méritent amplement qu’on puisse la réécouter. Il y a dans cette partition des phrases et des sonorités sans précédent, le tout guidé par un formidable sens du théâtre, ce qui est à l’opéra une vertu essentielle, il n’est pas mauvais de le rappeler. Et surtout, il est impossible de comprendre l’histoire de l’art lyrique au XIXe siècle sans connaître Meyerbeer, tant est grande la dette qu’eurent envers lui ses successeurs, qu’il leur ait servi de modèle ou de repoussoir.
Dans cette version de concert, l’orchestre est roi, non sans raison, et Marc Minkowski excelle pour en exalter l’impact, dès une ouverture particulièrement saisissante, et pour mettre en relief les mille détails ingénieux ou les admirables solos dont la partition est émaillée. L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine est même presque trop roi, car le chœur de l’Opéra de Bordeaux, relégué à l’arrière, en hauteur, et dispersé (sans doute pour raisons sanitaires), peine un peu à se faire entendre par-dessus cette imposante barrière sonore, malgré toutes ses qualités. Pour les solistes, placés à l’avant-scène, la difficulté est moindre, mais à plusieurs reprises on regrette qu’ils soient totalement couverts par l’orchestre. La mise en espace conçue par Luc Birraux permet aux chanteurs de se mouvoir avec naturel, avec des éclairages remarquablement réglés par Julien Brun, mais le texte projeté sur le fond de la salle aurait pu se limiter aux didascalies : du moins peut-on faire le choix de ne pas lire ses commentaires « humoristiques », d’autant qu’il n’est pas très fin d’ironiser sur le français de Scribe lorsque l’on propose soi-même un texte truffé de fautes d’orthographe et de grammaire.
Au sein d’une distribution qui pourrait valoir à Bordeaux bien des jaloux, Nicolas Courjal est le seul Français, qui met tellement son chant au service du théâtre que l’on reste déconcerté par la variété de couleurs que prend sa voix, loin des basses marmoréennes et monolithiques : s’il est parfaitement capable d’émettre les graves caverneux de rigueur pour l’invocation des nonnes, son timbre se transforme avec une aisance de caméléon pour épouser chaque situation.
A ses côtés, même s’il est le seul à garder toujours un œil sur la partition que les autres interprètent de mémoire, John Osborn (photo) est un magnifique Robert, loin des ténors vinaigrés qui ont jadis pu s’emparer du rôle : la voix ne perd rien de sa beauté jusque dans le suraigu, et la puissance est toujours au rendez-vous, ce qui ne va pas sans créer de légers déséquilibres avec sa bien-aimée Isabelle.
Erin Morley a toute la maîtrise de la colorature, sans dureté ni acidité aucune, elle sait traduire l’émotion de son personnages ; manque seulement un peu plus de volume, dans les duos ou face à l’orchestre. Aucun problème de ce genre avec Amina Edris, superbe Alice au timbre opulent et au français irréprochable. Maltais comme son nom ne l’indique pas, Nico Darmanin fait preuve d’un bel engagement, mais son timbre s’avère souvent nasal et la vélocité extrême de son premier air ne l’aide pas à surmonter les écueils des e/é/è de notre langue.
Gageons que l’enregistrement à paraître sous l’égide du Palazzetto Bru Zane permettra de rectifier certaines de ces impressions, et que Robert le Diable disposera sous peu d’un enregistrement de référence.
Laurent Bury
© Pierre Planchenault
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