« Saut dans un monde sans préexistence » (Pierre-René Serna), la Symphonie dramatique Roméo et Juliette de Berlioz embrasse tous les états d’âme dans un geste grandiose et passionné. Pour l’ouverture de sa saison, l’Orchestre National de France a mis les petits plats dans les grands en programmant cette œuvre hybride, sans postérité et d’une difficulté d’exécution sans pareille.
 
Daniele Gatti est familier des grandes fresques ; son interprétation ménage des temps forts puis s’enlise au risque de rompre l’unité organique par ses tempi proches des célestes lenteurs. Somme toute plus wagnérienne que berliozienne, la vision qu’il impose a le mérite de faire percevoir toute l’admiration éprouvée par le futur Maître de Bayreuth à l’égard d’une partition entendue à Paris (le lyrisme de la scène d’amour de la troisième partie). Le chef italien néglige toutefois la légèreté de touche, le sens des couleurs et le raffinement, prenant incontestablement cette partition à bras-le-corps sans en maîtriser toutes les composantes. L’orchestre virtuose (Introduction, Scherzo de La Reine Mab) comme les chœurs vaillants préparés par Howard Arman ne déméritent pas malgré quelques décalages. Il faut noter l’excellence des interventions du hautbois de Pascal Saumon, du cor anglais de Laurent Decker, de la clarinette de Bruno Bonansea, de la flûte de Philippe Pierlot ou de la harpe d’Emilie Gastaud.
 
En dépit d’une diction peu compréhensible, la jeune mezzo-soprano Marianne Crebassa tire d’emblée son épingle du jeu par un timbre ombré (« Premier transport que nul n’oublie ») ; le ténor Paolo Fanale cisèle sa prestation, tandis qu’Alex Esposito en Frère Laurent, voix de basse ample et engagée, se révèle en délicatesse vis-à-vis d’un texte chargé d’émotion. Une rentrée ambitieuse qui laisse cependant une sensation de frustration face un tel chef-d’œuvre.
 
Michel Le Naour
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 18 septembre 2014

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