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Soo Park joue Schumann à la Cité de la musique – Un concert inspiré – Compte-rendu
Grande première pour le piano romantique de la firme allemande Gebauhr, qui n’avait encore jamais été joué en public à Paris, depuis son entrée dans les collections du musée de la musique, en 2005. En majesté sur le plateau de l’amphithéâtre attenant aux réserves du musée, ce bel instrument à queue de 1850 témoigne de l’excellence de la facture germanique du XIXe siècle — en particulier sa mécanique « viennoise », aux marteaux garnis de feutre et recouverts de cuir. Il en résulte une sonorité intimiste, à la fois chaude et limpide, immédiatement prenante — les registres grave et médium foncés sans être opaques, des aigus cristallins et ronds. Les lignes harmoniques y gagnent en transparence et en netteté, en particulier celles si fuyantes et instables de l’écriture schumanienne.
Ce dont nous convainc pleinement le jeu de la pianiste d’origine coréenne Soo Park, à la fois dans son récent enregistrement (1), et dans ce concert de la Cité de la musique qui y fait écho. En digne (et ancienne) élève de la regrettée Catherine Collard, Soo Park est d’emblée chez elle dans la musique de Schumann. Et jusque dans les ultimes pages écrites au bord de la folie, avant la plongée dans le Rhin, puis l’internement dans un asile : Chants de l’aube, Variations des esprits (dictées par la voix-fantôme de Schubert, en fait réminiscence d’un thème de son concerto pour violon). Soo Park soutient avec une sollicitude quasi maternelle ces déambulations somnambuliques qui se referment sur elles-mêmes, ces chemins de ronde qui encerclent une inspiration hagarde.
En complément de programme, la pianiste, rejointe par Christophe Coin, a choisi deux recueils des plus roboratifs : les Phantasiestücke op.73 (à l’origine pour clarinette, transcrite pour violoncelle), et les Cinq Pièces dans le ton populaire, op. 102. Le violoncelle de Christophe Coin déploie un lyrisme idéal — la braise sous la cendre, autant que la gerbe d’étincelles. Et le choix d’un piano « historique » s’en trouve encore plus justifié, tant les deux instruments partagent un même nuancier de lumières chaudes et d’ombres translucides, une même articulation déliée, satinée. Dans les derniers mois de sa vie, Schumann compulsait un atlas, en quête de lointains mirages — eldorado solaire ou de terre de feu glacée. C’est à la limite de ces pays fertiles que nous entraînait ce concert inspiré.
Gille Macassar
(1) Robert Schumann : « Letzter Gedanke » (Dernière pensée) ; Soo Park (piano C.J. Gebauhr, 1850), avec Mathieu Dupouy pour l'Opus 56 / 1 CD Label-Hérisson LH14
Paris, Amphithéâtre de la Philharmonie 2, 29 mai 2016
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