Voici revenu le temps de ces démonstrations, aussi charmantes qu’instructives, car l’idée de Claude Bessy est reprise avec succès avec Elisabeth Platel, laquelle préside depuis 2004 aux destinées de l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris. On y va toujours l’espoir au cœur, à la fois désireux de considérer la conservation d’un style auquel l’école est attachée et qu’elle se doit de maintenir dans l’excellence, et curieux de détecter les talents un peu plus que calibrés, qui donneront l’éclat nécessaire aux lendemains de la troupe en perpétuelle mutation.

Le cru de l’année s’est avéré de bonne tenue, sans découverte fracassante, avec toujours les mêmes réserves à apporter à une certaine raideur des bras, ce qui est malheureusement la marque du style français, mais avec des jeunes gens bien placés, aux pointes solides, et habités par l’envie de brûler les planches, ce qui donne des ailes à leur difficile formation.

Platel, avec son amour de la passation et du patrimoine, a cette fois offert un florilège de trois styles bien emblématiques d’époques marquées. Dire le bonheur que l’on ressent à voir danser quelque pièce que ce soit de Bournonville, exact contemporain danois d’Andersen, dont il fut l’ami, est faible, car on trouve là toute une vision de l’homme et de la danse dont il fait un véritable art de vivre et de penser, grâce à une harmonie intime, ennemie de toute performance, même si celle-ci est incluse dans son difficile agencement de pas à l’air inoffensifs par leur retenue: Conservatoire, donc, daté de 1849 et mis ensuite à la sauce Degas par le décorateur Maurice Le Nestour en 1976, ne reprend que la partie strictement académique du ballet originel, plus anecdotique : ruban au cou, les jeunes ballerines se sont jouées de l’académisme délicat des pas, avec charme et autant de grâce que l’époque contemporaine en laisse subsister, tandis que les garçons sautaient avec cette subtile légereté qui fait l’intérêt de Bournonville. Pas de figure marquante, mais une apparition enchanteresse, celle d’une gamine aux joues de pommes d’api, au sourire explosif, aux nœuds sautillant sur sa jolie tête, les jambes levées à la seconde aussi haut qu’une Makharova : une certaine petite Denise. On ne dira pas son nom, la célébrité lui viendra bien assez tôt, si la joie continue de la porter ainsi !

Bond d’un siècle pratiquement, avec Les Forains, de Roland Petit, sur la brillante et expressive musique de Sauguet. On était en 1945, le monde avait encore le flanc courbé, et la pauvre société décrite par Petit portait bien cette tristesse. Déjà un ballet social, même s’il savait l’enrober d’une douce poésie. Une chorégraphie inventive, colorée, qui a permis à de jeunes talents comme celui de Gaétan Vermeulen, en prestidigitateur, d’Alexandre Boccara, délicieux clown et de la petite Gloria Poubeau, en équilibriste, de retenir l’attention.

Puis Piège de lumière, de John Taras, sur la musique de Jean-Michel Damase, dont la lourdeur était appuyée par la battue du chef Guillermo Garcia Calvo, avec l’Orchestre des lauréats du Conservatoire : un ballet de 1952 dont la magie, qui exista certainement tant son succès fut grand, ne fonctionne plus. Tous ces papillons à grandes ailes dans des costumes laborieusement colorés d’André Levasseur, datent terriblement et semblent battre des bras de façon bien conformiste, dans une composition quelque peu enfantine à ce jour. A l’époque, les Ballets de Monte Carlo proposaient volontiers ces productions très colorées, un rien naïves, dont la chorégraphie n’apportait finalement que peu de nouveauté, sous ses dehors spectaculaires. Platel, attentive on l’a dit, à l’histoire de la danse, l’avait déjà remonté il y a quelques années, mais il y brillait heureusement un individu tout à fait remarquable, François Alu, lequel a fait son chemin dans la troupe depuis, alors que le jeune Andrea Sarri n’impose que son charme et son enthousiasme. Petite déception aussi pour l’héroïne, Célia Drouey, sans doute la plus affirmée de toutes les jeunes ballerines vues pendant cette soirée, mais dont la ligne un peu masculine, trop puissante, n’évoque que de loin un papillon.

Mais le voyage chorégraphique aura sûrement été profitable à cette joyeuse équipe, entraînée ainsi à de multiples formes de mouvement, en rapport avec des époques diverses, même si ces jeunes danseurs sont appelés à danser Cherkaoui, Maguy Marin et autres Sasha Waltz, outre ce que l’avenir apportera de plus aventureux. Et l’on se doit de citer un texte de Bournonville lui-même, rapporté par le programme (ces programmes de l’Ecole de Danse sont d’ailleurs à garder comme des bibles, car ils remplacent autant que faire se peut la collection consacrée à l’histoire du ballet français que l’Opéra n’a jamais été capable de constituer, malgré ses fabuleuses archives) : « Apportez un soin particulier au choix des exercices, à votre façon de marcher, à votre langage, à vos lectures…Si cette patine se répand sur tout votre talent, vous vous approcherez de mon idéal de beauté et de grâce ». Un idéal de l’être et non du paraître. Que peut-on souhaiter de mieux à ces jeunes gens ?

Jacqueline Thuilleux

Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris – Paris, Palais Garnier, le 14 avril, prochaines représentations le 18 avril 2016. www.operadeparis.fr

Photos © Francette Levieux et David Elofer