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Tristan et Isolde à l’Opéra de Nice - Guerre de nerfs - Compte-rendu
Un effort superbe, une réalisation impressionnante, avant tout il faut saluer l’ampleur de l’entreprise, qui est, on le sait, une des plus malaisées de l’histoire de l’Opéra, tant Tristan et Isolde, par le caractère colossal des voix qu’il requiert, sa longueur, son délire sans fin, son statisme scénique, peut courir à sa perte. L’Opéra de Nice a mis beaucoup d’atouts de son côté pour ce saut d’obstacles, et c’est une incontestable, et très particulière réussite, car ce Tristan, malgré un apparent académisme, déchaîne un véritable incendie, point fort et point faible de la production.
On s’en explique : le chef anglais, Sir Richard Armstrong, empoignant la partition avec un Orchestre Philharmonique de Nice galvanisé, l’a menée sur un ring, ne lâchant jamais prise, dans une sorte de stress permanent. Certes l’oeuvre ne souffre pas la baisse de tension, mais Wagner, dans sa salle de tortures, a joué d’une gamme étendue : au feu, il a ajouté des morsures et des déchirures aussi fines que cruelles, des accès de lyrisme angoissé qui aèrent, si l’on peut dire, la montée au Golgotha schopenhauerien des héros. Avec la direction éperdue d’Armstrong, le drame perd un peu de son élasticité, si propre au discours wagnérien.
Mais peu importe, finalement, car on est emporté par cet embrasement, déclenché dès les premières notes du Prélude. C’est dire si l’on est épuisé à la fin de l’histoire, mais pas tant que les chanteurs, lesquels ont eux aussi choisi le mode extrême pour déjouer les pièges qui leurs sont tendus : à commencer par Catherine Foster, qui faillit parfois légèrement à la justesse, sans qu’on ait le temps de s’y arrêter. Il lui manque certes la grâce altière que l’on attend d’une princesse mythique, d’autant qu’elle joue constamment avec des voiles rosés qui font un peu lingerie fine et vont mal avec sa violence débridée, mais elle ne faillit jamais dans son engagement forcené et sa puissance vocale inouïe.
Face à elle, sur le ring donc, un Tristan qui, comme souvent les grands wagnériens, monte en puissance autant qu’en âge : l’américain Jon Fredric West a tout chanté et notamment Siegfried, incarnation qui déteint incontestablement sur son Tristan, lequel chante comme s’il forgeait constamment son épée. S’il ne séduit pas, il émeut souvent et convainc toujours. C’est l’essentiel pour ce rôle terrible qu’il assume dans l’état de quasi-folie nécessaire.
A leurs côtés, une splendide Brangäne, tout à fait royale, Michelle de Young, un Kurwenal profond et prenant, le Finlandais Jukka Rasilainen, le beau Melot de Clemens Unterreiner, le délicieux matelot-berger de Stanislas de Barbeyrac, et le Roi Lion dans le rôle de Marc, à savoir l’inépuisable, le quasi mythique Matti Salminen : de son immense puissance émotionnelle, de son immobilité parlante, il parvient à dominer la seule vraie faute de la mise en scène, laquelle l’a affublé d’une paire de lunettes et d’un costume de général d’opérette, alors que tout se déroule sur fond discrètement médiéval.
Par ailleurs, le metteur en scène Hans-Peter Lehmann, qui eut le privilège de travailler à Bayreuth avec les frères Wagner, de 1960 à 1973, en a retiré les leçons, en centrant puissamment l’action et en ne se dispersant pas en accessoires ni symboles. Un simplicité de lecture qui se révèle éloquente, même si les couleurs azurées du 1er acte, en mer, sont un peu célestes pour le drame qui se joue, tandis que l’arbre noir du second acte et le décor de quasi-banquise et de brumes du dernier, accompagnent parfaitement la course au néant. Violence extrême donc, de ce Tristan et Isolde qui laisse étourdi par son intensité, et ce malgré quelques défauts. Sans doute pour répondre au vœu de Wagner, lequel craignait que le public ne devint fou si son œuvre était jouée parfaitement !
Jacqueline Thuilleux
Wagner : Tristan et Isolde – Nice, Opéra, le 3 avril 2012
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Photo : DR
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