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Une interview de Lisa Batiashvili - De Chostakovitch à Bartok
Splendide ! Pour tous les amoureux de la musique de Chostakovitch, l’enregistrement du 1er Concerto pour violon par Lisa Batiashvili (1) constitue l’une des plus belles surprises de ce début d’année. Face à une aussi souveraine autorité et une telle justesse psychologique, on n’a pas résisté au plaisir d’interroger une interprète qui sera en concert à Bordeaux le 28 avril, sous la baguette de Jan Söderblom, dans le Concerto n°2 de Bartok.
Quelles sont vos attaches avec la musique de Chostakovitch ?
Lisa BATIASHVILI : J’ai vécu en Géorgie jusqu’à l’âge de onze ans, c’est à dire jusqu’au moment de l’effondrement de l’Union Soviétique – un période à la fois très turbulente et très intéressante. On ne peut pas dire que la musique de Chostakovitch soit facile d’accès pour une enfant, mais je m’en suis sentie très proche dès le départ. Il est vrai que mon père en avait souvent joué avec son quatuor ; c’est un compositeur que nous admirions beaucoup dans la famille. Mon père avait une fois eu l’occasion de rencontrer Chostakovitch et avait été impressionné par sa personnalité complexe.
Vous avez travaillé à Hambourg avec Mark Lubotsky, ancien élève de David Oïstrakh (le créateur et dédicataire du 1er Concerto de Chostakovitch)…
L.B. : J’ai étudié avec Lubotsky entre 13 et 15 ans. Lubotsky a une approche très intellectuelle de la pédagogie ; il parle beaucoup de philosophie, de la vie… J’étais un peu trop jeune à l’époque pour pleinement en profiter. Quant je suis revenue le voir à vingt ans pour travailler le Concerto n°1 de Chostakovitch, tout était différent ; j’avais mûri entre temps.
En quoi vous a-t-il le plus aidée à entrer dans le Concerto op 77 ?
L.B. : Il fallait trouver l’esprit de l’œuvre ; pratiquement parler avec la musique et pas seulement la jouer, pour parvenir restituer une partition marquée par le destin d’un créateur en URSS. Elle renferme de la peur, du désespoir, de l’angoisse, de l’ironie, du sarcasme. La grande cadence de troisième mouvement est une chose géniale, qui parle tellement d’une vie pleine de peur. Le finale se situe en quelque sorte après la vie ; c’est une danse aux enfers.
D’un point de vue plus technique, Mark Lubotsky vous a-t-il transmis des conseils hérités d’Oïstrakh ?
L.B. : Il m’a parlé des articulations. C’est une chose essentielle à mon sens ; on peut vraiment changer une musique en articulant différemment. Nous avons travaillé sur la manière de peser les choses dans la réalisation de certaines figures. Mais, d’une façon générale, la technique n’est pas très présente dans l’enseignement de Lubotsky.
La proximité d’Oïstrakh avec Chostakovitch aide à comprendre pourquoi ce concerto est si bien conçu pour le violon. Il est très difficile, mais n’est jamais écrit contre l’instrument. Si on la travaille comme il le faut, on prend ensuite beaucoup de plaisir à le jouer.
L’enregistrement du 1er Concerto vous aura donné l’occasion d’une première collaboration avec Esa-Pekka Salonen…
L.B. : Enfin, ai-je envie de dire, car nous nous connaissons personnellement depuis longtemps. J’ai l’ai rencontré plusieurs fois en Finlande, ou à Los Angeles lorsque j’avais joué avec son orchestre mais malheureusement pas avec lui. C’est un des musiciens que j’admire le plus, un chef absolument génial qui a une capacité de faire des choses comme personne d’autre, dans la musique contemporaine et la musique du XXe siècle en particulier.
Dès la première répétition avec le merveilleux Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise, j’ai senti que mon intuition était accord avec la sienne. Nul besoin de discuter ; il suffisait de faire de la musique ensemble…
Vous vous apprêtez à jouer un autre chef-d’œuvre du XXe siècle, le 2ème Concerto de Bartok, avec l’Orchestre National Bordeaux dirigé par Jan Söderblom. Quelle place occupe cet ouvrage dans votre répertoire ?
L.B. : C’est vraiment l’un de mes concertos préférés ; j’éprouve d’ailleurs un grand amour pour la musique de Bartok en général. Ana Schumachenko, mon deuxième professeur auprès de qui j’ai étudié pendant sept ans à Munich, a eu contact privilégié avec Joseph Szigeti et Yehudi Menuhin qui ont l’un et l’autre été des amis de Bartok. Comme lors du travail avec Lubotsky sur Chostakovitch, j’avais vraiment l’impression de recevoir des informations directement du compositeur et ça m’a ouvert beaucoup de perspectives.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 11 février 2011
(1)« Echoes of Time » (œuvres de Chostakovitch, Kancheli, Pärt, Rachmaninov) 1CD DG 477 9299
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Dir. Jan Söderblom / Lisa Batiashvili, violon
(Œuvres de Bartok, Ravel et Rachmaninov)
Jeudi 28 avril – 20h
Bordeaux – Palais des Sports
www.opera-bordeaux.com
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Photo : Anja Frers
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