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Une interview de Michael Fabiano, ténor - « J'adore le bel canto, mais mon compositeur préféré est Verdi »
Franc, direct, la tête sur les épaules, Michael Fabiano est à 31 ans un ténor en pleine ascension. Débutée à la fin des années 2000, sa carrière s’est rapidement emballée, son physique de jeune premier et à sa maîtrise vocale lui ouvrant les portes des plus grandes institutions. Adepte du bel canto, cet élégant interprète voue pourtant une admiration sans borne à Verdi dont il s’est fait une spécialité. Michael Fabiano est à Paris pour incarner le Duc de Mantoue sur la scène de la Bastille, dans une nouvelle production de Rigoletto confiée Claus Guth (à partir du 11 avril)(1). Il a gentiment répondu à nos questions à quelques jours d’une première attendue.
Après Cassio, Edgardo et Faust, le Duc de Mantoue est votre quatrième invitation à la Bastille. Vous avez chanté ce rôle de nombreuses fois depuis vos débuts en 2008 à Londres (ENO) : à quel type de difficultés êtes-vous confronté lorsque vous l'interprétez ?
Michael FABIANO : La première fois que j'ai appris ce rôle, j'étais étudiant et devais avoir 21 ans ; mon coach m'avait conseillé de ne pas l'aborder trop tôt en scène, ce que j'ai fait. J'ai cependant gardé la partition en mémoire en prévision du jour où j’aurais la possibilité de le chanter. Il ne faut pas avoir de mauvaises habitudes lorsque l'on doit aborder un personnage aussi complexe que celui du Duca di Mantova, car sa tessiture est haute, sans être légère, ce que les gens ont tendance à penser. Il faut posséder un instrument très flexible et être en mesure de transmettre de belles couleurs pendant tout l'opéra. Le timbre doit être riche notamment dans les cavatines qui sont très difficiles. Il faut également du pathos dans la voix, de la sensibilité, des couleurs parfois sombres et ne pas imaginer que l'on pourra se réfugier dans le haut du registre. C'est un rôle de ténor lyrique qui demande une grande variété de couleurs.
Verdi est l'un de vos compositeurs préférés et celui dont vous avez à ce jour interprété le plus de partitions, de Stiffelio à Luisa Miller en passant par Traviata. Comment expliquez-vous cette relation, est-ce parce que musique et drame sont parfaitement mêlés ?
M.F. : Verdi c'est d'abord et avant tout, les mots ! Pas seulement, mais ils sont essentiels et l'on sent combien il a aimé collaborer avec ses librettistes : sur Otello, il a négocié chaque mot pendant des semaines avec Boito, pour obtenir le meilleur, chacun ayant une nécessité, induisant une conséquence. Certes ce degré de perfection n'a pas toujours été le même sur l'ensemble de sa création, notamment à ses débuts, mais ce fut très vite une évidence. Si vous regardez les partitions originales vous pouvez voir qu'il a prévu des accents très précis sur les mots qui méritent une attention particulière, pour exprimer un sentiment, définir une caractère ou préciser une nuance, ce que ni Rossini, ni Donizetti, ni Bellini n'ont pris le temps de faire. Cette attitude montre la complexité de son travail sur chaque détail, à la différence de ses prédécesseurs et de certains de ses contemporains. J'adore le bel canto, mais mon compositeur préféré est Verdi. Savez-vous que Donizetti a dirigé la première d’Ernani, quelques mois seulement après avoir créé son Poliuto ? Cela montre combien ces deux compositeurs se respectaient et expliquent bien des choses sur les liens qui relient les différentes étapes de l'histoire de la musique.
Le rôle du Duca di Mantova a été marqué par de grands ténors qui n'avaient ni la même voix, ni le même parcours artistique. Où vous situez-vous dans cette galaxie, plutôt vers Bergonzi, Pavarotti ou Kraus ?
M.F. : Oh voilà une grande question, car ces trois interprètes ont eu en effet de grandes influences sur toute une génération. Quelles voix ! Bergonzi évoque pour moi un velours sombre, Pavarotti de l'or et Kraus de l'argent très flexible. Tous les trois ont été merveilleux, avec des instruments très différents et des approches singulières qui les ont conduits à suivre des carrières très distinctes. Même s'il est difficile de me positionner par rapport à eux, je vous répondrais que Bergonzi est celui que je mets en premier car j'aime sa ligne de chant, la tonalité et la couleur de son timbre qui sont essentielles pour moi. Pavarotti était un Duca idéal, incontestablement, grâce à une voix claire, la plus claire de toutes et Kraus possédait une flexibilité qui n’appartenait qu'à lui seul.
Quel devrait être votre rôle verdien ultime ?
M.F. : Je crois qu'il s'agira d'Otello, mon rôle préféré, sans conteste. Mais il m'est difficile de faire des pronostics sur ce que sera mon instrument dans cinq ou dix ans ; j'espère simplement que le moment viendra, que le projet pourra se concrétiser avec les bonnes personnes car ce rôle demande plus qu'un grand ténor, il nécessite un grand interprète. Je n'oublie pas non plus que Ramon Vinay, extraordinaire Otello, dont la voix était parfois proche de celle d'un baryton, ce qu'il fut avant et après avoir chanté les grands rôles de ténor du répertoire, donnait d'un soir à l'autre au Met, Otello et Iago au tout début des années soixante. Cela fait réfléchir !
Quelles influences peuvent avoir vos partenaires sur la conception de vos personnages et plus précisément ici à Paris, Quinn Kelsey et Olga Peretyatko qui vous entourent ?
M.F. : Assez peu ! Lorsque je suis sur une nouvelle production comme ici à la Bastille, les personnes qui m'influencent sont en général les metteurs en scène, qui me font partager de nouvelles idées, de nouveaux concepts et les chefs d'orchestre qui peuvent apporter beaucoup aux chanteurs. Je recherche toujours l’harmonie et le fait de travailler avec des collègues qu'ils soient nouveaux ou pas, me pousse à créer une atmosphère agréable dans laquelle nous devons nous sentir unis et où nous sommes capables de jouer l'intimité, même si cela n'est pas toujours possible. J'ai travaillé avec des sopranos avec lesquelles je devais simuler la proximité alors que nous n'étions pas proches du tout, mais nous le savons et nous devons faire comme si tout allait bien. Ma partenaire Olga Peretyatko est quelqu'un de très ouvert avec qui il est très facile et agréable de collaborer, quant à Quinn, je le connais personnellement et l'apprécie. Sur scène plus l'équipe rassemblée est forte plus elle sera en mesure de donner le meilleur et plus la performance s'en ressentira.
Ici à Paris vous jouez dans un spectacle conçu par Claus Guth qui débute sur cette scène. Qu'est-ce que cela entraîne sur l'équipe ?
M.F. :Claus Guth est quelqu'un de dynamique, un homme intéressant qui aime les détails, ce qui n'est pas toujours le cas ! Il a un concept que le public ne partagera peut être pas, mais son point de vue est clair et il souhaite nous convaincre avec patience et chaleur, sans rien imposer. Il est très aimable et fait avancer les choses. Si nous ne comprenons pas où il veut nous conduire, on peut discuter et aller de l'avant ensemble car il écoute les artistes et veut qu'ils se sentent bien. Mais vous savez si l'on veut que le spectacle soit une réussite totale, il faut un chef, un vrai directeur musical, car sans lui il n'y a pas de spectacle digne de ce nom. Nicola Luisotti est formidable, je le connais, l'estime et suis convaincu qu'il est le meilleur surtout dans Verdi et Puccini pour lesquels il est très préparé et d'une grande profondeur. C'est un leader incroyable, qui donne aux chanteurs de l'espace, de la liberté, tout en menant le navire là où il doit aller.
Vous avez déclaré à plusieurs reprises que vous aviez le goût du travail, attitude que vous aviez étudiant lorsque vous passiez des heures en bibliothèque pour apprendre de nouvelles partitions. Aujourd'hui vous n'arrivez jamais en répétition sans voir au préalable préparé votre rôle à fond. D'où cela vous vient-il ?
M.F. : Je viens d'une famille où le travail a toujours été érigé en mode de vie : ma grand-mère qui était concertiste, travaillait tout le temps, mon père a réussi dans le monde des affaires, j'ai donc tout naturellement évolué dans une famille de créateurs, dans laquelle le défi, la construction, la réussite a toujours été très importante, ce qui m'a permis d'appréhender l'avenir de manière positive. Cela a été très formateur. J'ai également rapidement compris que la qualité du travail était préférable à la quantité. Ainsi deux heures de bon travail sont plus importantes que dix heures moyennes. Ce sont je crois, de bonnes bases.
Contrairement à d'autres chanteurs de votre génération vous avez avoué préférer vouloir chanter peu de temps, plutôt que de vous préserver pour chanter longtemps. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
M.F. : En effet, nous sommes tous sur terre pour une durée limitée et si je suis chanceux je devrais être au mieux de ma forme vers 50 ans. Depuis ma plus tendre enfance j’éprouve une quantité de désirs et de passions ; en ce moment et depuis plusieurs années, je me concentre exclusivement sur le chant, mais je sais que j'aurais d'autres centres d'intérêts dans quelques temps. Je sais aussi que le public est sensible et ne veut se souvenir que des beaux moments qu'il a partagés avec un artiste et ne veut surtout pas garder de lui l'image du déclin. Les chanteurs doivent veiller à ne donner que le meilleur ce qui ne peut se faire que sur une courte période. Il faut savoir dire adieu au bon moment, c'est capital pour moi. Je ne veux pas être vieux en scène. Nous évoquions Alfredo Kraus tout à l'heure, voilà une exception, un artiste qui a su adapter ses moyens et vieillir avec quelques rôles jusqu'au bout, sans changer véritablement ; il a incarné Werther très tard avec une voix pratiquement intacte. Mais ce fut un cas à part.
Vous êtes très engagé dans la pédagogie et l'éducation, aimez discuter avec les jeunes pour parler de votre métier et leur expliquer que l'opéra et la culture doivent être considérés dans notre société. Qui vous a investi de cette mission ?
M.F. : Je crois avoir reçu cette force, ce don peut être, très tôt, car je suis convaincu que nous devons donner aux autres, les aider et la culture est un vecteur fantastique. Je trouve indispensable de partager ce que j'ai moi-même reçu avec les jeunes et prône les bienfaits de la transmission. L'art et l’opéra en particulier peuvent s'exporter n'importe et il suffit de donner certaines clés pour faciliter l'accès de ce monde, réputé inaccessible, à des jeunes qui sont parfois rétifs, parce que personne ne leur a ouverts les portes. Je ne m'imagine en revanche pas professeur, car je me sens davantage mentor, ou organisateur : enseigner la technique serait pour moi trop frustrant. Je suis quelqu'un qui aime prendre de la hauteur pour aider les autres à voire tout en bas briller la lumière : c'est peut-être cela ma mission.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par François Lesueur, le 31 mars 2016
(1) Michael Fabiano incarne le Duc de Matoue en alternance avec Francesco Demuro ; on pourra l'entendre les 9, 11, 14, 17, 23, 26 avril, 2 et 5 mai.
Verdi : Rigoletto
11, 14, 17, 20, 26, 28 & 30 avril, 2, 5, 7, 10, 14, 16, 21, 24, 27 & 30 mai 2016
Paris – Opéra Bastille
www.concertclassic.com/concert/rigoletto-de-verdi-par-claus-guth
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