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Une interview de Nelson Goerner – « Nelson Freire était incroyablement honnête envers son art »
Le 30 mars prochain, à la Philharmonie, Nelson Goerner (photo) retrouvera sa compatriote Martha Argerich pour une soirée à deux pianos à la mémoire de Nelson Freire, disparu le 1er novembre dernier. A l'approche de cet hommage, le pianiste argentin se souvient ...
Dans quelles circonstances avez vous connu Nelson Freire ?
Notre première rencontre s’en produite à Zurich, à l’occasion de concerts autour de Martha Argerich. C’était en 1989, je m’en souviens très précisément car c’est la première fois que j’étais invité dans le cercle des amis de Martha ; Gidon Kremer, Nelson Freire, le Duo Crommelynck et d’autres étaient présents.
J’étais en train de travailler les Arabesques sur le Beau Danube bleu de Schulz-Evler quand Nelson est entré dans la pièce. Il m’a demandé de lui jouer le morceau ; ce que j’ai fait. Martha est alors arrivée et, elle m’a demandé de le jouer une seconde fois. Finalement, alors que ce n’était pas prévu, j’ai inscrit l’œuvre à mon programme du soir ! Lors de cette première rencontre, totalement informelle, Nelson s’était montré d’un naturel, d’une sympathie incroyables ; c’était un homme très chaleureux.
Lors du premier récital que j’ai donné à Rio en 1995, il était dans la salle, ce que je ne savais pas. Il est venu me retrouver ensuite et nous sommes allés dîner ; nous avons parlé de musique jusqu’à quatre heures du matin au moins, si longtemps que le restaurateur a fini par nous demander de partir.
Les occasions de croiser Nelson par la suite n’ont pas été aussi nombreuses que je l’aurais voulu, mais à chaque fois mon bonheur était immense de retrouver un être généreux, positif et d’une profonde bienveillance.
Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans le jeu de Nelson Freire ?
Sa sonorité d’abord, très plastique – cette incroyable longueur de son ... – qui procure un plaisir physique ; une sonorité très variée, avec une grande diversité d’attaque qui lui permet d’avoir ce côté félin et en même temps très sensible – hyper-sensible dirais-je même. Cette plasticité de la sonorité allait de pair avec un sens du temps musical très intuitif, instinctif. Il était très touchant, d’un franc parler, d’une sincérité profonde dans son rapport à la musique, incroyablement honnête envers son art.
Quelles œuvres associez-vous immédiatement à son nom ?
Il y en a beaucoup mais, à l’instant où nous parlons, je pense au Concerto en fa mineur de Chopin, au Si bémol de Brahms, à la Barcarolle de Chopin.
Avez-vous eu l’occasion de travailler avec Nelson Freire ?
Jamais, son propos n’était pas du tout didactique, j’ai appris de lui en l’écoutant en concert. C’était vraiment une figure inspirante, avant de parler de lui-même, il laissait parler la musique : il faisait un don. J’ai toujours entendu tous ses collègues parler de lui avec le plus grand respect. Avec beaucoup d’amour aussi, ce qui est plus rare ... On peut respecter un collègue, l’admirer ; l’aimer c’est autre chose.
Quand avez-vous rencontré Nelson Freire pour la dernière fois ?
A l’occasion d’un récital que j’ai donné au Théâtre des Champs-Elysées en 2017 – mon premier récital en soirée dans cette salle. Je ne savais pas qu’il était là. Quelle n’a pas été ma surprise au moment de la séance de dédicace de découvrir qu’il avait attendu son tour dans la queue, comme tout le monde, pour venir me saluer ...
Comment avez-vous conçu le programme d’hommage que vous donnerez le 30 mars (1) avec Martha Argerich ?
Avec Martha, qui a évidemment connu Nelson Freire bien mieux que moi ! Nous ne pouvions l’un et l’autre que lui rendre hommage pour ce qu’il représentait comme être humain et comme artiste. Nous avons choisi des œuvres que lui et Martha ont souvent jouées ensemble : la Sonate en ré majeur de Mozart, les Danses symphoniques de Rachmaninoff et, sans doute moins fréquemment, En blanc et noir de Debussy.
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L’actualité de Nelson Goerner en France est plutôt riche en ce printemps 2022. Outre la soirée du 30 mars à la Philharmonie, l’artiste argentin se produira le 13 avril au Festival de Pâques d’Aix (2) dans des ouvrages de Debussy, Fauré, Albéniz et Schumann, et le festival provençal lui donnera par ailleurs l’occasion de faire travailler et de jouer avec de jeunes archets (Emmanuel Coppey, Paul Zientara et Olivia Gay), dans le cadre de @Génération Aix 2022, dans des opus chambristes de Schumann.(3) Le 25 mai, l’Auditorium de Radio France accueillera le pianiste au côté de l’Orchestre Philharmonique, dirigé par Philippe Herreweghe, pour une soirée brahmsienne réunissant le Second Concerto et la Symphonie n° 1. Le 10 juin, enfin, Nelson Goerner sera à nouveau l’invité de Piano ****, au théâtre des Champs-Elysées, pour un récital Chopin, Debussy, Schumann et Albeniz.(5) Une manière de célébrer la sortie de l’enregistrement intégral d’Iberia, réalisé en public l’an dernier à Flagey et disponible à partir du 13 mai chez Alpha.
Propos recueillis par Alain Cochard le 17 mars 2022
(1) www.piano4etoiles.fr/production/nelson-freire-3/
(2) festivalpaques.com/editions/edition-2022/nelson-goerner
(3) festivalpaques.com/editions/edition-2022/generation-aix-2022
(4) www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/concert-symphonique/brahms-goerner-herreweghe
(5) www.piano4etoiles.fr/production/nelson-goerner/
Photo © Jean-Baptiste Millot
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