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Une interview de Nicole Corti, Directrice artistique du chœur Spirito - La choralité conçue comme un art et une transmission
Les Chœurs et Solistes de Lyon et le Chœur Britten se sont réunis pour former Spirito. Comment se passe la fusion et quels sont ses objectifs ?
Nicole CORTI : Depuis le 1er janvier 2017, Spirito a vu le jour sur la proposition de nos partenaires publics. Nous sommes très heureux d’avoir fusionné ces deux ensembles qui suivaient des lignes directrices différentes, mais avaient beaucoup de chanteurs communs, formés par le Conservatoire à rayonnement régional et le Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon. Ils maîtrisent différents styles de musique, de la musique ancienne au chant généraliste, et nous pouvons adapter l’effectif des chanteurs en fonction des œuvres et des genres. Avec Spirito, notre objectif est d’ailleurs de redonner ses lettres de noblesse au grand chœur à un moment où les contingences économiques privilégient les petits ensembles vocaux. Nous sommes convaincus qu’il est important aujourd’hui de revaloriser les grands chœurs de 32 choristes et plus pour aborder le grand répertoire a cappella. Le grand chœur établit des passerelles entre les époques et Spirito est en plein développement sur ce point, notamment avec le Festival Berlioz et avec ses prestations avec l’Orchestre National de Lyon. En 2017, Spirito a réalisé 67 prestations pour 11 programmes et 2018 devrait être aussi riche.
Quel est le second objectif principal qui guide Spirito ?
N.C. : Notre seconde idée force est de favoriser la création contemporaine car être novateur nous est absolument nécessaire. C’est pourquoi nous creusons la problématique du rapport entre le geste et le son, entre le mouvement et le chant, dans un projet intitulé « Le Chœur en mouvement ». Nous donnons à entendre au public des œuvres dont le spectre harmonique diffère selon la forme que prend le chœur : frontal au public ou positionné en cercle, en triangle, en double ou quadruple chœur. Par exemple, la formation en cercle favorise une grande homogénéité du son car les harmoniques des émissions sonores convergent et fusionnent idéalement. C’est pourquoi le public adore lorsqu’un chœur l’entoure et l’immerge dans ses vibrations sonores. Dans un autre style, comme dans le « Requiem Imaginaire » de Jean-François Zygel (1), le chœur qui se déplace sur scène met en valeur tel ou tel pupitre.
© DR
Est-ce une pratique nouvelle ?
N.C. : Non, la spatialisation des concerts était courante à la Renaissance et de nombreux ensembles vocaux la pratiquent de façon intuitive depuis la fin du XXe siècle. Nous, nous essayons de la théoriser. Déjà, nous avons constaté que tous les chœurs peuvent la pratiquer, y compris les chœurs amateurs, à condition que les choristes maîtrisent bien leur timbre. Même si la fusion des voix s’effectue au détriment de la richesse individuelle, l’objectif d’un chœur est toujours de parvenir au fait que la richesse individuelle nourrisse la richesse collective. Nous voulons donner des concerts qui interpellent le public par un travail sonore qui le met en contact direct avec la vibration sonore. Notre objectif consiste donc à faire converger un chœur qui est riche en harmoniques sonores avec un public placé dans une situation où il recevra le résultat de la vibration.
L’impact sonore ne dépend-il pas aussi de la salle de concerts ?
N.C. : Si, bien sûr, toutes les salles devraient permettre cette convergence sonore où la vibration voyage de façon que le texte soit intelligible pour le public et où la riche résonance et la couleur vocale du chœur ne sont pas altérées par la réverbération. Mais elles ne sont généralement pas adaptées à tous les répertoires et le lieu impose toujours qu’on s’adapte à lui, par exemple en modifiant les tempos ou en ajoutant des panneaux pour transformer l’acoustique. De toute façon, on peut faire quinze fois le même programme et devoir toujours renouveler les conditions du chant. C’est le propre de l’art de la choralité d’être tellement riche qu’il fait évoluer la voix, laquelle fait évoluer l’oreille. Le bon chef intègre donc les lieux avant le concert et c’est pourquoi je vais toujours écouter des concerts dans les salles où Spirito va se produire. Je veux trouver, à l’oreille, la façon de rééquilibrer les pupitres et d’agencer le chœur en fonction des lieux pour obtenir les conditions d’une convergence chœur/public.
© J.-L. Fortin
Le chant choral français évolue-t-il positivement ?
N.C. : Je constate une très belle évolution du monde choral français. Au niveau professionnel, les chanteurs sont formés de façon complète : ils lisent la partition à vue, suivent des cours d’écriture, d’analyse et d’harmonie, mais aussi de langue et de théâtre. Ces acquis constituent de véritables atouts pour les chefs de chœur. Cela amène d’ailleurs certains chœurs à se spécialiser. Les chœurs amateurs, eux, bénéficient des formations de direction de chœur que suivent aujourd’hui les jeunes chefs qui, ensuite, les dirigeront. En ce qui nous concerne, notre Académie « Les Sens de la Voix », fruit de notre collaboration avec la Confédération Musicale de France, contribue à cette évolution en formant des chefs que nous confrontons à un chœur école de chanteurs professionnels. L’Académie se tenant cette année en Sicile, le chœur école sera composé de chanteurs italiens et français qui apporteront leur savoir-faire, les uns sur Gesualdo et Palestrina et les autres sur Debussy et Ravel.
François-Xavier Roth, complice de Spirito au Festival Berlioz de La Côte Saint-André © DR
Le public français s’intéresse-t-il davantage aux chœurs ?
N.C. : Cela dépend des lieux. En fait, ce sont les salles qui forment le public en proposant des programmes éclectiques dans lesquels interviennent des chœurs. La Région Rhône-Alpes- Auvergne aime le chant choral en général. Et puis, Spirito entretient un lien particulier avec le public à travers son programme de pédagogie chorale. Avec notre cycle « Ouïe le Jeudi », nous apportons au public des niveaux différents de lecture du travail du chœur ou une méthode pour aborder la musique contemporaine à la foi auditivement. Il n’est pas pensable pour nous, non plus, de ne pas nous adresser aux enfants. Le chant est important pour l’enfant parce qu’il rassemble. En même temps, chacun a sa voix et celle-ci synthétise la mise en action de son corps, de sa sensibilité et de son intelligence. Le chant a la capacité de participer au développement de l’enfant.
Quels sont vos projets choraux pour les mois à venir ?
N.C. : En août, nous aurons le Festival Berlioz, avec la Grande Messe des Morts et un autre programme avec la 9e Symphonie de Beethoven et Le Temple universel de Berlioz, sous la baguette de François-Xavier Roth. Au Festival de La Chaise-Dieu, nous aborderons les Maîtres du Grand Chœur, avec la Messe à double chœur de Franck Martin et les Motets de Bruckner et de Pierre Pincemaille (1956-2018), auquel nous rendrons un hommage. La Messe de Franck Martin et les Motets de Bruckner feront l’objet d’un enregistrement début 2019. Puis, en septembre, le projet « A travers chants », destiné aux enfants, se concrétisera par l’oratorio « L’Homme qui plantait des arbres », de Christine Mennesson, qui fait alterner les pièces de sa composition avec des pièces traditionnelles du Dauphiné, sur un texte de Jean Giono. C’est un vaste projet qui est géré par l’Agence iséroise de Diffusion artistique (AIDA), et qui a pour objectif d’implanter le chant dans le département comme une activité familière à tous les enfants.
Propos recueillis par Michel Grinand, le 21 juin 2018
(1) Spirito interprétera « Un Requiem imaginaire » les 18 juillet (Limoges), 20 & 21 août (Viens), 7 septembre (Alençon) & 18 septembre 2018 (La Grande Motte) / www.spirito.co/Saison/Calendrier
L'été de Spirito
- « Schumann intime » – 9 juillet 2018 (20h), Festival du Château de Chambord / www.spirito.co/Saison/2017-18/Schumann-intime
- Messiaen/Dennisov/Mantovani – 1er août 2018, Collégiale de Briançon, Festival Messiaen au Pays de la Meije, dir. Daniel Kawka / www.festival-messiaen.com/detail-concert-messiaen-fr/157-.html
- Berlioz : Grande Messe des Morts - 21 août 2018 (21h), La Côte-Saint-André, Festival Berlioz, dir. François-Xavier Roth / www.festivalberlioz.com/Requiem-Berlioz
- Bruckner : Motets / Martin : Messe à double chœur - 24 août 2018 (21h), Festival de La Chaise-Dieu / www.chaise-dieu.com/fr/messe-double-choeur
- Beethoven 9e Symphonie / Berlioz : Le Temple universel - 30 août 2018 (21h), La Côte-Saint-André, Festival Berlioz, dir. F.-X. Roth /www.festivalberlioz.com/Le-Temple-universel
- C. Mennesson/Giono : L’Homme qui plantait des arbres – 2 septembre 2018 (17h), La Côte-Saint-André, Festival Berlioz / www.festivalberlioz.com/Le-Concert-des-enfants-L-homme-qui-plantait-des-arbres
- Calendrier complet : http://www.spirito.co/Saison/Calendrier
Photo Nicole Corti © Guillaume Ducreux
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