Journal
Une interview du Quatuor Tchalik – Retour à Mozart
Le Quatuor Tchalik s’est fait une spécialité des auteurs et des œuvres rares. Des couplages inattendus aussi, tel le superbe Ravel-Lyatoshynsky sorti l’an dernier. (1) Les quatre jeunes musiciens n’en oublient pas pour autant le grand répertoire et c’est à Mozart qu’ils consacrent leur nouvel enregistrement (toujours sur leur propre label : Alkonost Classic) avec les Quatuors KV 458 « La Chasse », KV 499 « Hoffmeister » et KV 589, le deuxième des trois ultimes « Prussiens ».(2) Esprit, vivacité, clarté, poésie : une pleine réussite qui nous a donné envie de rencontrer Gabriel et Marc Tchalik, premier violon et violoncelle de la formation – et ses porte-paroles pour l’occasion. Un conversation autour de Mozart, mais aussi de Thierry Escaich, Reynaldo Hahn et, sujet particulièrement sensible pour les instrumentistes à archet aujourd’hui, la préservation des forêts et les questions – très épineuses – relatives aux bois de pernambouc et d’érable.
Quant aux prochains concerts, on retrouve le Quatuor Tchalik à Paris, le 17 janvier, pour fêter la sortie de leur disque Mozart, puis le 5 février à Lyon dans un étonnant programme partagé avec un Thierry Escaich à la fois interprète et improvisateur.
Après Hahn, Escaich, Tichenko, Saint-Saëns ou Ravel et Lyatoshynsky, on vous entend, pour la première fois dans votre parcours discographique, dans le grand répertoire classique viennois avec Mozart. Un compositeur qui vous a porté chance à vos débuts puisque vous avez remporté en 2018 le Premier Prix du Concours Mozart de Salzbourg. Pourquoi ce Mozart aujourd’hui ?
Gabriel TCHALIK : Faire découvrir des compositeurs et des œuvres méconnues mais toujours de grande qualité est un peu devenu notre marque de fabrique, mais une demande s’exprime du côté des organisateurs pour que nous proposions aussi du grand répertoire classique. Choisir Mozart faisait particulièrement sens pour les raisons que vous avez rappelées. D’ailleurs le Quatuor « Hoffmeister » KV 499, l’un des trois ouvrages que réunit notre enregistrement figurait au programme de la finale du concours en 2018. Il nous avait je pense fait gagner, à en juger par les commentaires des membres du jury et d’auditeurs qui avaient trouvé que nous avions un rapport très naturel avec cette musique. Nous l’avions beaucoup travaillée avec Günter Pichler et Valentin Erben, deux membres fondateurs du Quatuor Alban Berg – nous avons été élèves dans la classe de V. Erben à Madrid. Les commentaires avaient été très positifs de la part des membres du jury, tous issus de grands quatuors internationaux, mais ils nous avaient encouragés à aller plus loin encore dans l’exploration de la partition. Les années écoulées nous ont permis d’œuvrer en ce sens, de chercher « notre » Mozart. A l’époque de nos études avec Günter Pichler – qui ont principalement porté sur Haydn, Mozart et Beethoven –, celui-ci nous disait que le phrasé chez Haydn c’est très facile, chez Beethoven c’est facile, mais chez Mozart c’est très difficile, extrêmement difficile !
"Nous avons été particulièrement attentifs à la finesse des articulations, à la forme que l’on donne à chaque note, qui requiert un effort à la fois intellectuel et technique."
Marc TCHALIK : Dans le phrasé mozartien il y a de très nombreuses possibilités. Il faut savoir où mettre les points d’appui, déjouer les risques de faux accent. Depuis l’époque du concours nous avons énormément réfléchi à cela. Et particulièrement à l’époque du covid et du confinement : je me souviens de journées entières consacrées à Mozart. Nous nous enregistrions et nous nous écoutions, puis nous recommencions encore et encore afin de trouver notre style. Nous avons pris le temps.
Point important, depuis un an et demi nous utilisons de nouveaux archets pour Mozart – fabriqués par Jean-Yves Tanguy, très grand archetier qui possède une importante collection d’archets d’époque. Il s’agit d’archets classiques, un peu plus courts, plus légers, avec moins de crin, une mèche beaucoup moins épaisse – plus que de moitié –, très différents donc des archets modernes, adaptés à des musiques plus tardives. La tenue de son est très différente ; on se lance plus facilement dans la musique, on se libère de certaines contraintes techniques et on obtient un son moins épais, plus transparent, qui met en valeur tous les détails de l’écriture de Mozart. Nous avons été particulièrement attentifs aussi à la finesse des articulations, à la forme que l’on donne à chaque note, qui requiert un effort à la fois intellectuel et technique.
Votre programme comprend donc le « Hoffmeister », précédé du KV 458 « La Chasse » et suivi du KV 589, deuxième des trois « Prussiens ». Quelques mots sur ce choix ...
G. T. : « La Chasse », avec le côté ouverture de son premier mouvement, offre une entame joyeuse. Son finale est assez badin aussi, mais quelle musique incroyable entend-on dans l’Adagio. Les trois quatuors que nous avons retenus possèdent tous des mouvements lents absolument bouleversants ... L’Adagio de « La Chasse » montre un caractère sombre et très introspectif, celui du « Hoffmeister », pas moins magistral, dégage une profonde mélancolie, tandis que le Larghetto du KV 589, avec son solo de violoncelle suspendu, présente une fragilité très touchante. Il y a là une progression qui est peut-être inverse à celle de l’atmosphère générale des œuvres
M. T. Ces trois quatuors reflètent les trois périodes des dix derniers quatuors : les quatuors dédiés à Haydn ; le « Hoffmeister » qui est une pièce isolée, et les ultimes « Prussiens ».Une logique architecturale qui n’est que renforcée par les liens entre les tonalités.
© Claire Douieb
"Si personne ne se bat pour nous, nous ne pourrons plus voyager avec nos archets."
G.T. : Il faut aussi souligner que ce disque Mozart est dédié à la préservation des forêts. Nous avons rencontré plusieurs luthiers, archetiers, mais aussi un fabricant de chevalets, que nous connaissons depuis très longtemps : Nicolas Despiau – une petite entreprise familiale du Gers à l’origine, devenue leader mondial de la fabrication de chevalets (sous le nom Despiau Planet) et dont nous sommes les ambassadeurs. De gros problèmes se posent aujourd’hui, pour le pernambouc et l’érable, et les questions politiques et diplomatiques se mêlent au dossier. C’est pourquoi que nous apportons aussi notre soutien à l’International Alliance of Violin an Bow Makers for Endangered Species, une organisation de luthiers et d’archetiers activement engagés dans la préservation des forêts, car si personne ne se bat pour nous, nous ne pourrons plus voyager avec nos archets et nous nous trouverons dans l’obligation de jouer avec des archets en carbone à l’étranger. Triste perspective ...
Thierry Escaich © Louis Nespoulos
"Le rêve de jouer avec Thierry Escaich s'est réalisé. Nous avons construit ce programme avec lui."
Un programme associant Mozart et Thierry Escaich, qui sera présent à vos côtés à l’orgue, s’annonce le 5 février à l’Auditorium de Lyon. Dites-nous en plus sur cette collaboration ...
M. T. : Nous connaissons Thierry depuis très longtemps, nous avons travaillé avec lui et enregistré sa musique : un bonheur immense déjà. L’étape naturelle suivante était de jouer avec lui, avec l’interprète et l’improvisateur de génie qu’il est. Un rêve qui s’est réalisé. Nous avons construit ce programme avec lui.
G.T. : En première partie, nous interprétons la Sonate d’église KV 336, l’Adagio et Fugue KV 546, la Fantaisie pour orgue KV 608 (transcrite pour orgue et quatuor par Dania Tchalik), mais aussi Sanctus et Pastorale de Sigfrid Karg-Elert (1877-1933), compositeur allemand au langage un peu post-wagnérien, dont la version originale pour orgue et quatuor, perdue, a été reconstituée par Emmanuel Pélaprat à partir de la mouture pour orgue et violon qui subsiste.
La seconde partie comprend deux pièces pour quatuor de Mendelssohn (op. 81/1 & 3), Prana, la pièce de Thierry écrite pour ce programme (une commande de la Philharmonie de Cologne/KölnMusik, de Pro-Quartet-CEMC et de la Philharmonie de Dresde dont la création a eu lieu le 5 octobre 2022 à la Philharmonie de Cologne ndlr) et enfin deux pièces tirées des Six Duos pour piano et harmonium op. 8 de Saint-Saëns que Dania a transcrites pour orgue et quatuor. Tout s’enchaîne extrêmement bien dans la mesure Thierry improvise et établit des ponts entre les différents morceaux.
Reynaldo Hahn © DR
De l'Andante et Allegro au Carnaval des Vieilles Poules, un second disque Reynaldo Hahn plein d'inédits
Revenons au disque : après un enregistré très remarqué du Quintette avec piano et des deux quatuors de Reynaldo Hahn (3), vous avez mis en boîte un deuxième volume : quand paraîtra-t-il et que comprendra-t-il ? Plusieurs inédits je crois ...
M. T. : Il sortira avant l’été, avec en effet beaucoup d’inédits : Andante et Allegro, deux très jolies pièces de genre pour violoncelle et piano, découvertes récemment lors de l’ouverture d’un fonds d’archives. Elles sont tout à fait l’esprit de Reynaldo ; la première très mélodieuse, un peu mélancolique, l’autre assez brillante. Un petit Nocturne pour violon, composé à l’intention de Fernand Halphen, condisciple de Hahn au Conservatoire de Paris. On trouvera aussi Le Carnaval des Vieilles Poules, une pièce très drôle pour quatuor et piano, le premier mouvement d’un Trio avec piano inachevé, et quatre petites pièces que nous avions interprétées lors d’un spectacle Proust et Reynaldo Hahn. Ce sont en fait des exercices du concours d’harmonie du Conservatoire, des exercices certes, mais très touchants car on y sent déjà la patte du compositeur.
Pas inédit lui, mais vraiment superbe, le Quatuor avec piano en sol majeur constitue la pièce de résistance d’un disque où l’on trouve aussi une autre morceau connu : Soliloque et Forlane pour alto et piano.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 19 décembre 2024
(1) www.concertclassic.com/article/le-quatuor-tchalik-interprete-ravel-et-lyatoshynsky-seduisante-rencontre
(2) 1 CD Alakonost ALK 010
(3) www.concertclassic.com/article/le-disque-de-la-semaine-le-quatuor-tchalik-interprete-reynaldo-hahn-compte-rendu
Quatuor Tchalik : www.quatuortchalik.com/
Concert de lancement du disque Mozart
17 janvier 2025 – 19h30
Paris – Académie du Climat (2, place Baudoyer / 75004)
www.concertclassic.com/concert/quatuor-tchalik-concert-mozart-pour-la-foret
Entrée libre, inscription recommandée sur : www.academieduclimat.paris/evenements/quatuor-tchalik-concert-mozart-pour-la-foret/
Mozart, Escaich, Mendelssohn, Karg-Elert & Saint-Saëns
5 février 2025 – 20h
Lyon – Auditorium
www.concertclassic.com/concert/thierry-escaich-quatuor-tchalik
Photo © Alex Kostromin
Derniers articles
-
11 Janvier 2025BURY
-
10 Janvier 2025Collectif
-
09 Janvier 2025Pierre-René SERNA