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​Viktoria Postnikova en récital à la salle Cortot/Les Nuits du Piano – Schubert autrement – Compte-rendu

 

Bref échange liminaire sur scène entre Patrice Moracchini, directeur de la belle série "Les Nuits du Piano", et Bruno Monsaingeon : le réalisateur, qui connaît Viktoria Postnikova depuis le Concours de Leeds 1966 (1) et lui a consacré un film, fait part des hésitations qui ont été celles de la pianiste à donner son récital dans le contexte actuel. Par chance l'artiste, bien trop rare dans les salles françaises, a décidé d’être au rendez-vous avec un programme entièrement schubertien (les deux cahiers d’Impromptus, les Moments musicaux et les Klavierstücke D. 946).
 
D’emblée on comprend qu’une vision à la première personne du singulier s’offre à nous. De l’attaque, saisissante, de l’Op.90/1 au dernier trait, cinglant, de l’Op.142/4, Postnikova nous embarque dans son univers poétique. Qu’importent quelques scories, toute l’expérience d’une vie vibre et s’exprime dans cette sonorité pleine, signifiante, cette palette de nuances qui toujours s’accorde aux changements d’éclairage harmonique, de caractère (l’Op.142/3). On gardera longtemps en mémoire la bouleversante confidence de l’Op.90/3, la tristesse sans larmes de l’Op. 142/3 ...  
 
Etape sans doute la plus originale de la soirée, les Moments musicaux prennent une dimension autre sous les doigts de Postnikova dont les tempis alentis, le sens polyphonique aiguisé, l’expressivité de la main gauche métamorphosent ce cahier rebattu. Comme suspendu, se refusant à toute joie, toute innocence (cette conclusion morendo si lourde de sens...), le n° 3 pourrait résumer l’approche, avant un n° 4 empli d’amères pensées, un n° 5 mu par une terrible rage et une dernière pièce entre douceur et douleur.
Les Trois Klavierstücke D.946 concluent, servis par un jeu d’une ampleur quasi symphonique par moments et, là encore, lourd d’arrière-pensées, qu’il s’agisse du feu intérieur pleinement dominé des nos 1 et 3, de la noblesse du chant du n°2.
Scène jonchée de fleurs, le public d’une salle Cortot comble fait une longue ovation à une très grande dame du clavier. Bach a le dernier mot avec le Prélude en si mineur BWV 869, pétri d'humanité.

Prochain rendez-vous des Nuits du Piano à Cortot, le 13 avril avec un prometteur interprète de la nouvelle génération : Martin James Bartlett.
 
Alain Cochard

(1) Edition qui couronna l’Espagnol Rafael Orozco du 1er Prix, les RussesViktoria Postnikova et Semyon Kruchin du 2ème Prix ex æquo
 
 
Paris, Salle Cortot, 7 mars 2022 // paris.lesnuitsdupiano.fr/

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