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Rencontre avec… un compositeur contemporain - Alex Mincek - Jusqu’à l’épuisement et au-delà
Le compositeur étatsunien Alex Mincek (photo, né en 1975) est cette année l’un des professeurs invités de l’Académie « Voix nouvelles » à l’abbaye de Royaumont au côté de Mark André et Philippe Leroux. Pendant trois semaines, les jeunes compositeurs venus des quatre coins du monde, vont ainsi pouvoir confronter techniques, idées et doutes. Les travaux réalisés durant l’académie seront présentés les 9 et 10 septembre, dans le cadre du Festival de Royaumont 2017 (2 sept. – 8 oct.), par le Quatuor Tana et l’Ensemble Multilatérale dirigé par Leo Warynski.
Pour Alex Mincek, Royaumont ne sera pas une découverte. Il y a dix ans, il était sur les bancs de l’abbaye, à la place de ses étudiants d’aujourd’hui. Alors élève de Tristan Murail à la Columbia University de New York, il recevait cette année-là à Royaumont les conseils de Brian Ferneyhough, Daniel D’Adamo et Thierry Blondeau. Comment voit-il aujourd’hui son rôle ? « J’essaie d’abord d’imaginer comment leur musique sonnera. Quelles sont leurs intentions et comment leur technique leur permet de les réaliser ? ». S’il se voit comme un point de référence – « ils savent d’où je viens, j’ai mes propres opinions et affinités envers différents types de musique » – il n’a nullement l’intention de les « convertir » ou même de leur suggérer les solutions à leurs problèmes compositionnels spécifiques.
Le Quatuor Tana © Nicolas Draps
Le terme qui revient le plus dans la bouche d’Alex Mincek quant à son rôle auprès des étudiants est « interaction ». On ne s’en étonnera pas : c’est aussi la caractéristique première de sa musique. La première intention, qu’elle soit une idée purement sonore ou non musicale, plus ou moins abstraite, vient presque toujours du « monde physique » : « ce sont les choses que j’observe, l’environnement dans lequel je vis et avec lequel j’interagis ». Le point de départ, ce sont des idées et des sons reliés entre eux : « J’écris d’abord beaucoup d’esquisses ». Mais, précise le compositeur, « ces prémices ne seront probablement jamais le début de l’œuvre. Le début d’une pièce est le plus souvent ce que j’écris en dernier, quand j’en ai une vision globale ».
L’écriture est pour Alex Mincek un combat permanent, un labyrinthique jeu de contradictions. « À partir d’une idée, je commence généralement la composition de façon cursive, de gauche à droite ; je creuse l’idée de départ… jusqu’à tant qu’elle m’ennuie – ou que je m’ennuie à cet exercice. Il me faut alors trouver autre chose, comme une provocation du matériau. Mais je dois alors donner du sens à cette provocation, trouver une cohérence entre les deux moments… jusqu’à ce que cette cohérence me fatigue et que je décide de la rompre à nouveau ». Ainsi, comme le résume lui-même Alex Mincek, l’écriture d’une pièce se fait « contre elle-même » tout en apportant « sa propre résolution » ; c’est en quelque sorte à la fois le poison et l’antidote.
La musique d’Alex Mincek procède de « l’épuisement » (exhaustion) : « quand un matériau arrive au bout de ce qu’il peut donner, il est temps de passer à autre chose. Il y a dans mes œuvres des "exhausted sections" [littéralement des « séquences d’épuisement »] où la musique tourne sur elle-même, sans but, jusqu’à épuisement des permutations possibles ». De fait, à l’écoute, la musique d’Alex Mincek présente souvent un balancement entre mouvement continu – avec des épisodes très logiques, mathématiques – et de soudaines interruptions, qui nous transportent ailleurs, font un temps douter de la continuité mais sans jamais nous perdre complètement ; au contraire, ce sont elles qui nous font aller de l’avant, qui créent et renouvellent l’attention. Il devient parfois difficile de déceler si un moment crée de la continuité ou une rupture : « dans un ensemble, je peux décider de faire sonner de la même façon deux instruments différents, mais il faudra alors des modes de jeu très éloignés pour produire un même son ; à l’inverse, je peux demander aux musiciens le même type d’action… mais le son sera alors très différent ! ».
Léo Warynski © DR
L’intervention permanente du compositeur, cette interaction volontiers déstabilisante avec le propre résultat de son écriture l’emmène assez loin de son maître Tristan Murail et de l’école spectrale dans son ensemble, même s’il partage évidemment avec elle une passion pour les phénomènes sonores, leurs métamorphoses et leurs illusions. « Il y a dans la musique spectrale un sens aigu de la continuité, quelque chose de très organique. Je ne suis pas contre cette idée mais ce n’est pas mon but. Ma musique présente bien un caractère continu – qui peut même aller d’un extrême à l’autre – mais plutôt que d’opérer un développement lisse et fluide, je cherche plutôt à créer un espace entre chaque étape, je souligne chaque changement, je fais de chaque moment un chapitre que je peux ensuite réorganiser à ma guise. C’est donc une continuité nettement plus granuleuse, pixellisée que celle de Murail ou Grisey ». Une autre façon, plus sauvage peut-être, de voyager dans le son.
Jean-Guillaume Lebrun
(Propos recueillis et traduits de l’anglais le 21 août 2017 à Royaumont)
Abbaye de Royaumont – samedi 9 septembre à 20h45. Le Quatuor Tana interprète le Quatuor n° 3 – lift – tilt – filter – split d’Alex Mincek, ainsi que des œuvres de Yann Robin, Edwin Hillier et Béla Bartók.
Page de l’Académie Voix Nouvelles : www.royaumont.com/fr/academie-voix-nouvelles-2017
Site du compositeur : www.alexmincek.com
Photo Alex Mincek © Agathe Poupeney
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