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Only the Sound remains de Kaija Saariaho en création française au Palais Garnier - Seul reste le son - Compte-rendu
Only the Sound remains : c’est un beau titre et qui dit bien ce qu’est le nouvel ouvrage lyrique de Kaija Saariaho. Après trois opéras (L’Amour de loin, Adriana Mater et Émilie) mais aussi un oratorio (La Passion de Simone) et quelques fresques (Château de l’âme, Mirage, True Fire) où la voix s’adosse à l’orchestre, la compositrice finlandaise a cependant tranché de façon radicale dans la sublime machinerie orchestrale qu’elle met habituellement en œuvre.
Only the Sound remains resserre à l’extrême les forces musicales : deux chanteurs, un quatuor vocal et un ensemble ad hoc composé d’un quatuor à cordes, une flûte, des percussions et surtout un kantele, cithare traditionnelle et instrument mythique de la musique finlandaise. Tout au long de l’œuvre, la sonorité des cordes pincées, sous les doigts de la virtuose Eija Kankaanranta, envoûtera l’auditeur, tissant la trame de l’œuvre, dévidant l’histoire et accueillant les voix comme la lyre le chant de l’aède.
© Elisa Haberer - Opéra national de Paris
L’orchestration subtile renforce l’atmosphère évanescente de l’œuvre, qui réunit deux récits tirés du théâtre nô (Tsunemasa, Hagoromo) convoquant des figures d’ombre (le spectre d’un jeune soldat mort au combat apparaissant à prêtre, un esprit lunaire suppliant un pêcheur de le laisser regagner le ciel). Les instruments viennent se poser sur le continuo du kantele, tantôt en transparentes résonances, tantôt en abrupts sons multiphoniques. C’est toujours une musique de la nuance et le rôle du chef d’orchestre y est paradoxalement plus exigeant qu’avec un grand orchestre. Ernest Martínez-Izquierdo, qu’une longue complicité unit à la compositrice, donne toute son évidence à cette musique d’effleurements, de reliefs et de résonance ; il faut dire que les solistes, tous finlandais, comptent parmi les interprètes majeurs de la musique de notre temps : la flûtiste Camilla Hoitenga, dédicataire de plusieurs œuvres de Kaija Saariaho, le percussionniste Heikki Parviainen et le Quatuor Meta4.
Le chant joue sur l’opposition des registres : au baryton-basse Davóne Tines, déjà créateur en France de True Fire l’an dernier (lors du festival Présences 2017 consacré à la compositrice), les rôles terrestres dans une prosodie qui privilégie la douceur des timbres, qui ne vient que ponctuellement caresser les graves ; au contre-ténor Philippe Jaroussky, les ombres célestes, les transparences incandescentes prolongées par les instruments et par l’électronique. Et si la quasi-totalité de l’œuvre se déroule devant l’unique pièce de décor (l’immense kakemono peint par Julie Mehretu et magnifiquement travaillé par les lumières de James F. Ingalls qui ne se lèvera qu’à la fin de l’opéra), ce sont bien les voix qui lui donnent ses couleurs.
© Elisa Haberer - Opéra national de Paris
Il convient d’ailleurs d’ajouter aux deux solistes sur scène les quatre du Theater of Voices, qui participent à la texture sonore – souffles, attaques, résonances – avant, dans la seconde partie, de prendre clairement à leur compte la narration. On se rend bien compte alors, l’action venant du quatuor vocal en fosse plus que des chanteurs sur scène, qu’Only the Sound remains n’est qu’à peine un opéra. Du reste, Peter Sellars ne cherche pas à conforter l’illusion théâtrale quand il demande à Philippe Jaroussky de quitter l’avant-scène pour devenir esprit, une fois derrière le rideau ; ou mieux encore en dissociant la voix du contre-ténor et le corps de l’ange, représenté sur scène par la danseuse Nora Kimball-Mentzos : l’image est fascinante même si la chorégraphie est quelque peu stéréotypée. Il n’en demeure pas moins que le jeu des acteurs, malgré leur implication, paraît tourner un peu à vide. Et, au bout du compte, en effet, seul reste le son.
Jean-Guillaume Lebrun
Kaija Saariaho : Only the Sound remains (création française) – Palais Garnier, jeudi 25 janvier ; prochaines représentations les 1er, 4 et 7 février 2018 / www.concertclassic.com/concert/only-sound-remains
Photo © Elisa Haberer - Opéra national de Paris
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