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Festival Archipel 2019 / Genève - Totalement « Archip-elles » – Compte-rendu
La Suisse regorge de talents musicaux, toutes disciplines et esthétiques confondues. L’appétit helvétique pour la composition, la création et la musique contemporaine force le respect et l’admiration. Marc Texier, qui assure depuis 2007 la direction d'Archipel – festival genevois consacré aux musiques d’aujourd’hui –, avoue encore son étonnement quant au déséquilibre femmes/hommes dans la programmation des concerts, même dans le domaine a priori innovant et progressiste de la musique contemporaine.
Marc Texier © Volpe photography
Convaincu qu’il n’y a pas d’inégalité de capacité créatrice ou d’ambition artistique entre les sexes, Marc Texier, a souhaité valoriser la scène féminine actuelle ou émergeante, extrêmement vivace, internationale (et ce bien avant le mouvement #MeToo) « qui représente 30 à 35% des créateurs – les 15% manquant pour atteindre l’équilibre des genres s’expliquent par les disparités géographiques, culturelles et aussi par l’empêchement pour certaines femmes de poursuivre une carrière artistique ».
Archipel 2019, rebaptisé « Archip-elles » pour l’occasion, choisit un acte symbolique plus qu’un axe thématique, destiné à montrer qu’il est « possible et même facile d’offrir davantage de place aux créatrices », dans ce foisonnement et cette diversité esthétiques. « Les femmes œuvrent, et ne comblent plus seulement leur désœuvrement », comme c’était encore le cas au siècle dernier. La destinée de l’art leur appartient aussi et couvre au moins cinq continents de musique.
Les étudiants de la Haute Ecole de Musique de Genève, regroupés sous l’appellation Ensemble 21, se produisaient à la Maison Communale, lieu principal du Festival, avec gradins et scène éphémère, balcon, et bar convivial. Le concert, joliment intitulé Premières lunes donnait à entendre, comme son nom ne l’indique pas forcément, des œuvres de compositrices dont l’autorité n’est plus à prouver : première partie consacrée à la finlandaise Kaija Saariaho, puis un quatuor de flûtes signé Sofia Goubaïdoulina, enfin L’Ange d’acier de la Française Graciane Finzi. Seule véritable découverte, Elvira Garifzyanova, jeune auteure russe, formée dans la classe de Michael Jarrell à Genève, dont on a entendu Aurore boréale pour flûte et électronique (créée pour Archipel, en 2013). Cette pièce, qui joue constamment avec les transformations de son, tour à tour se densifie ou se vide, la flûte et l’électronique, organisés de manière polyphonique, créent une sorte de nouvel instrument hybride. Huit minutes d’émerveillement et chapeau bas à la jeune flûtiste Louise Bourgeois (photo).
On ne dira pas la même chose du quatuor de flûtes de Goubaïdoulina : musique « ancienne » des années 70, ardue, hermétique, et assez crispante sur la durée (multiphonie en micro-intervalles), malgré une incontestable virtuosité et une exécution techniquement impeccable.
L’Ange d’acier de Graciane Finzi pour quintette de cuivres et percussions est beaucoup plus sympathique et abordable, grâce entre autres à un leitmotiv rythmique efficace, à une facture instrumentale dense, à ce mélange des timbres entre cuivres et percussions métalliques. Réminiscences « primitives », efficacité terrienne dans un contexte polyphonique et rythmique très élaboré, voire sophistiqué. Mais l’émotion subjective la plus vive revient aux œuvres de Kaija Saariaho, grande plume décidément. Son Ciel étoilé pour percussion et contrebasse joue des silences et de quelques vibrations qui trouent et illuminent l’immensité d’une voûte céleste.
Les Trois rivières pour percussion et électronique privilégient d’abord les résonances puis s’intensifient rythmiquement. L’originalité tient aussi à la récitation en français par les interprètes du poème La Nuit de lune sur le fleuve (poème chinois de Li Po).
© Volpe photography
Est-ce parce que le point de départ compositionnel est émotionnel ? Est-ce parce que la pièce était jouée - excellemment - par trois jeunes femmes ? La Serenata pour violoncelle, piano et percussion restera gravée dans nos mémoires. Saariaho souhaite pour cette pièce une implication de l’interprète dans son attitude, face au matériel que représente la musique même. Ainsi la pianiste et la percussionniste dansent presque, la violoncelliste, yeux fermés, fait chanter l’instrument doucement ou de manière plus tourmentée ; le trio communique, communie. On retrouve la force du lien des grands chambristes dévoués à leur art, ici à cette Sérénade, véritable ode à la musique.
Speaking of membranes © Volpe photography
A la fin du concert, les yeux et les oreilles sont disposés à découvrir la pureté des fragiles installations de Marianthi Papalexandri-Alexandri Speaking of membranes pour actionneur, métal, nylon, haut-parleurs miniatures et colophane en regard de laquelle moving objects du Suisse Pe Lang fait frissonner un mur de papier, pour actionneurs, papier, électronique et dispositif mécanique.
Tables rondes, ateliers de médiation et de composition, on attend encore prochainement la jeune génération turbulente et dérangeante, avec notamment la création de Barblina Meierhans : Pixel, avant un DJ set d’Ella Soto.Par ailleurs, les cordes de l’excellent Quatuor Béla se lancent dans la création Isolarion de la Taïwanaise Chia-Ying Lin (19 ans) et Pentamerone de la Coréenne Dahae Boo.
L’Académie Archipel et le spectacle We Need Space de l’artiste sonore Julie Semoroz referment l’édition 2019, le 7 avril.
Gaëlle Le Dantec
Genève, Maison Communale, 2 avril 2019. Festival Archip-elles jusqu’au 7 avril / www.archipel.org/2019/index.php
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