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Variations Classiques 2019 (Annecy) – Archets d’avenir et hypnotique « Nuit d’été » – Compte-rendu
La ligne artistique est claire : promouvoir une talentueuse jeunesse musicale, en faisant se produire cette année la Classe d’excellence de violoncelle de Gautier Capuçon (instituée en 2014 à la Fondation Louis Vuitton), ou tous les ans les lauréats du Concours Reine Elisabeth, varier les plaisirs dans les programmes (musique de chambre, récitals, grand orchestre symphonique, jazz) et les lieux (scène nationale, château, église), enfin confier à chaque édition une carte blanche à un artiste ou une personnalité : après Catherine Frot, Gaspard Proust, c’est la journaliste et mélomane Laurence Ferrari, originaire de la région, qui « marrainait » le Festival 2019.
Le concert de six brillants élèves de la Classe d’excellence - Fondation Vuitton à Bonlieu (scène nationale) s’annonçait comme une nuit marathonienne de violoncelle, tant le programme était dense et le désir de jouer, pour cette jeune troupe, immense.
Avec élégance et efficacité, Gautier Capuçon présente sa classe (Anouchka Hack, Charles Hervet, Shizuka Mitsui, Caroline Sypniewski, Kristina Winiarski et Sarina Zhang), le programme choisi, et les intervenants de chaque pièce ; il est le septième violoncelle dans l’arc de cercle formé par ses élèves sur le devant de la scène, s’autorisant à jouer avec eux parfois, mais les laissant surtout s’exprimer pleinement, avec une complicité belle à voir.
Programme généreux : pas moins de quinze pièces sont proposées, du baroque Jean-Baptiste Barrière pour deux violoncelles au tango d’Astor Piazzolla à sept, du répertoire « classique » Tchaïkovski, Haydn, Rachmaninov, Bizet, Offenbach, Elgar, jusqu’à la musique d’aujourd’hui, la plupart du temps écrite pour la classe : on remarque The Forest pour 7 violoncelles de l’Américain Bryce Dessner, partition composée juste après l’incendie de Notre-Dame de Paris, Trois Jardins de Guillaume Connesson, ou encore une Fantaisie de Javier Martínez Campos. Offerte par un ancien élève de la promo 2015, cette composition est devenue l’hymne de la classe ! Les morceaux s’enchaînent, contrastés dans leur style, entrecoupés de quelques mots du professeur, pendant qu’un ballet très rôdé de chaises musicales permet à chaque violoncelliste de changer de place et de tourner dans les pupitres. On oublie le marathon et la longueur du programme, tant la personnalité et la sonorité de chacun s’avèrent différentes, dans tous les cas attachantes. Bravo à Shizuka Mitsui qui en fin de programme a entrepris une véritable battle avec Gautier sur les Variations sur un thème de Rossini de Paganini - numéro de haute voltige et festival de mimiques entre le maître et l’élève !
Autre expression de la jeunesse le lendemain, au concert de midi, cette fois au musée-château, dans les hauteurs de la vieille ville d’Annecy, où se produisait l’une des lauréates du Reine Elisabeth 2019, la violoniste Ioana Cristina Goicea (photo). Retenez le nom de cette jeune roumaine, elle a toutes les chances de faire parler d’elle. D’autant qu’elle forme un duo depuis sept ans avec Andrei Banciu, pianiste de même origine désormais établi en Allemagne, où il s’est perfectionné.
Dans une jolie salle boisée, à l’acoustique tout simplement idéale pour la musique de chambre, le concert de midi faisait voyager. On n’a pas souvent entendu la Sonate et Tzigane de Ravel comme cela, avec ce son, cette présence. Quand un pizz on ne peut plus éphémère, sonne et vibre avec soutien… La musique de George Enescu est trop rare en France. Avec la Troisième Sonate, souverainement maîtrisée, Ioana Cristina Goicea et Andrei Banciu jouent dans leur arbre généalogique, et savent rendre limpides les lignes soutenues, souvent mystérieuses, de cet admirable opus.
Rendez-vous le soir dans le décor sobre et moderne de l’église Sainte-Bernadette, pour une « Nuit d’été » avec Véronique Gens et l’ensemble (à géométrie variable) I Giardini, fondé il y a quelques années par le pianiste David Violi et la violoncelliste Pauline Buet.
Ce "concert-récital", proposé et produit par le Palazzetto Bru Zane (1), présente le fleuron de la musique française de la « Belle époque » des salons parisiens, dans la symbiose entre poème et musique. Le monde intimiste de la mélodie française est difficile à défendre et n’attire pas les foules d'un coup de baguette magique. Il est pourtant facile d’y entrer ; et avec cette « Nuit d’été », un délice d’y rester !
Véronique Gens est d’une classe absolue. La voix en grande forme, le timbre moelleux et arrondi, mettent en valeur les lignes envoûtantes de ce répertoire et le texte poétique, toujours compréhensible et articulé avec finesse et intelligence.
La chanteuse n’est que co-responsable du succès. La grande trouvaille du programme a été de confier l’accompagnement à un quintette avec piano, formation idéale et équilibrée pour faire goûter à cette musique, à la fois légère et intense, aux accents souvent profonds ou tourmentés. Les arrangements (signés Alexandre Dratwicki) sont simples et prenants. L’hypnose tient sans doute aussi à la variété du programme, la « Nuit d’été » se décomposant en « Crépuscule. Nuit d’amour » (Fauré, Lekeu), « Rêve. Nuit d’ailleurs » (Berlioz, Massenet, Saint-Saëns, De la Tombelle), « Cauchemar. Nuit d’angoisse » (La Chanson perpétuelle de Chausson, Ropartz), pour conclure sur « L’Aube. Nuit de Fête » (Messager, Reynaldo Hahn et ... « La vie en rose » de Louiguy !).
Un programme qui sera repris à Venise, le 20 septembre prochain, puis à l’Auditorium du Louvre, le 15 juin, dans le cadre du 8ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris. Mis en boîte ces jours-ci, un enregistrement de "Nuit d'été" sortira au printemps prochain.
Gaëlle Le Dantec
Annecy, 29 et 30 août 2019
www.variations-classiques.com
Photo © Yannick Perrin
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