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La Vie parisienne d’Offenbach (version originelle - Palazzetto Bru Zane) à l'Opéra de Rouen Normandie – Rebâtir Paris – Compte-rendu
L’équipe du PBZ a mis de l’ordre dans ce vaste chantier, n’hésitant pas à consolider l’édifice là où c’était nécessaire (il a fallu à plusieurs endroits concevoir une partition d’orchestre « à la manière de »). Ce nouvel édifice a été conçu selon les plans de ses premiers architectes, Meilhac et Halévy, dont le livret déposé au bureau de censure fait ici autorité. Avec toute une série d’airs et d’ensembles à découvrir, l’œuvre en ressort considérablement allongée, puisque les modifications successives apportées entre 1866 et la version plus ou moins définitive de 1873 allèrent d’abord dans le sens du raccourcissement (quatre actes au lieu de cinq), mais pas seulement : disparaissent ainsi quelques pages devenues célébrissimes, notamment dans le final du troisième acte. Si certains airs furent réécrits parce que les acteurs du Théâtre du Palais-Royal étaient incapables de les chanter en 1866, il est néanmoins permis de préférer encore leur forme postérieure, même si la version connue de « Ce que c’est pourtant que la vie » est peut-être trop poétique par rapport à la situation. Curiosité : après 1870, le Danemark, sans doute jugé trop proche de l’Allemagne, fut remplacé par la Suède, sans que le couple Gondremarck ne change guère au passage. Cette Ur-version s’imposera-t-elle ? L’avenir le dira.
En 1988, le jeune couturier Christian Lacroix avait été choisi par Mikhail Baryshnikov pour concevoir les costumes du ballet Gaîté parisienne, qu’on avait notamment pu voir au Théâtre des Champs-Elysées, là où cette Vie parisienne égaiera bientôt les fêtes de fin d’année. Et c’est à l’invitation de Michel Franck que Christian Lacroix s’essaie pour la première fois à la mise en scène, tout en conservant les casquettes de costumier et de décorateur. Tout se déroule dans une grande rotonde métallique qui se modifie légèrement à chaque acte, grâce aux images en fond de scène, l’espace en question gardant un petit air de chantier comme le Paris haussmannien, avec échafaudage côté jardin, et un ascenseur qui sert un peu souvent. Eclatants de couleurs, les costumes mélangent des esthétiques variées, les silhouettes renvoyant au Second Empire avec beaucoup de clins d’œil à notre époque. Loin de tout réalisme (la version en cinq actes, qui oblige le baron à se faire passer pour « Jean le cocher », rendrait difficile cette option), le jeu scénique tire clairement la pièce du côté du comique sans tomber dans l’outrance, avec quelques jolis gags qu’on ne dévoilera pas, et huit danseurs ajoutent un dynamisme bienvenu.
A chaque étape, l’orchestre changera : pour la création du spectacle, c’est naturellement l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, mais le chef sera Romain Dumas pour toutes les représentations, à Tours et à Paris : il manque peut-être encore à sa direction l’étincelle nécessaire pour que le résultat pétille autant qu’on le voudrait. A Rouen, c’est le chœur Accentus qui chante et danse, et qui s’acquitte fort bien de ses interventions supplémentaires (les amis teutons de Frick le bottier resurgissent à des moments imprévus). Du fait des nombreuses représentations, il a fallu établir une double distribution, la première représentation offrant donc un des visages possibles que prendra cette Vie parisienne.
Flannan Obé et Marc Mauillon forment un tandem Gardefeu-Bobinet superbement complice, et Franck Leguérinel est un baron assez irrésistible, affublé de favoris démesurés, à la Lord Dundreary. Philippe Estèphe et Carl Ghazarossian savent profiter de toutes les occasions que leur offre leurs rôles ici beaucoup étoffés. Curieusement, malgré ses qualités vocales, Eric Huchet semble sur sa réserve en Brésilien – son air est pourtant presque deux fois plus long que la version habituelle.
Du côté des dames, on souhaite un prompt rétablissement à Elena Galitskaya, qu’une indisposition a contrainte de « marquer » une partie de son rôle. Caroline Meng et Ingrid Perruche n’arrivent qu’après l’entracte mais ne passent pas inaperçues, et l’on est heureux de retrouver Marie Kalinine, même dans le tout petit rôle de Bertha, aux côtés de Louise Pingeot en Clara. Dans cette version, la baronne bénéficie d’un grand air au quatrième acte, mais Marion Grange ne semble pas toujours très à l’aise dans l’aigu. On regrette qu’Aude Extrémo soit privée du premier air de Métella, composé en 1872 à l’intention d’Hortense Schneider qui refusa finalement d’interpréter le rôle, mais la mezzo se rattrape amplement avec ses deux rondos. Florie Valiquette, enfin, brille en Gabrielle, Offenbach ayant gâté celle qui était alors probablement sa maîtresse.
Laurent Bury
Photo © Guillaume Benoit - Opéra de Rouen Normandie
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