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Hamlet d’Ambroise Thomas à Saint-Etienne – Le sacre d’un nouveau grand – compte rendu
© Hubert Genouillac
En attendant de l’entendre prochainement dans Don Carlo, on peut d’ores et déjà affirmer qu’il connaît peu de rivaux dans le répertoire français. Cette noblesse de ligne, ce mordant de l’expressivité, cette diction qui ne tolère aucun compromis, ses plus illustres aînés les possédaient, mais Jérôme Boutillier est aussi un excellent acteur, totalement investi dans un personnage qui, même laminé par les librettistes, n’en reste pas moins fascinant par ses multiples dimensions. Il en a encore la jeunesse physique mais déjà la maîtrise intellectuelle, et son interprétation ne pourra que s’approfondir lorsqu’il sera confronté à des productions un peu plus exigeantes sur le plan du jeu d’acteur. La mise en scène de Nicola Berloffa propose une esthétique raffinée, dans une cour de Danemark assez guindée, où l’on reste très digne même quand « le plaisir nous convie », en ce milieu de XXe siècle qu’évoquent les costumes malgré quelques incursions dans une autre époque (la reine alterne crinoline et manteau Dior très sixties). Le spectacle est efficace et sait maintenir l’intérêt en éveil, mais d’autres ont poussé plus loin la folie du héros ou même celle d’Ophélie.
© Hubert Genouillac
Dans la fosse, Jacques Lacombe tire le meilleur d’Ambroise Thomas, soulignant toute l’inventivité de son orchestration, sans aucune langueur intempestive, et l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire le suit dans sa démarche, sans craindre de se rapprocher – à juste titre – d’Offenbach dans la fête joyeuse du premier acte. Et l’on se réjouit d’entendre une version de la mort d’Ophélie bien plus développée qu’à l’ordinaire, sans le ballet, bien sûr, mais avec intervention des « paysans danois » (les courtisans, ici), là où l’on doit trop souvent se contenter du seul air de la folie.
© Hubert Genouillac
Bien qu’à peine remise d’une laryngite, selon l’annonce du directeur avant le lever du rideau, Jeanne Crousaud triomphe haut la main de tous les écueils du rôle d’Ophélie, dont elle décoche les suraigus sans jamais faillir tout en prêtant à la jeune fille bien plus d’épaisseur que ne lui donnerait la seule virtuosité. Deux personnages n’ont pas tout à fait la qualité de diction qui distingue une distribution par ailleurs entièrement francophone : sans démériter, le Claudius de Jiwon Song peine à exister face à la Gertrude d’Emanuel Pascu, magnifiquement en voix et plus engagée dramatiquement que dans Hérodiade de Massenet ici même il y a quelques saisons. Jérémy Duffau est un superbe Laërte, et l’on aimerait l’entendre dans un rôle plus étoffé. On regrette le choix de ne pas montrer le spectre du feu roi, car on aurait mieux pu apprécier la voix de Thomas Dear s'il avait pu chanter sur scène et non du haut du dernier balcon. Tous les personnages secondaires sont impeccablement tenus, qu’il s’agisse du tandem Horatio-Marcellus (Jean-Gabriel Saint-Martin, presque surdimensionné, et Yoann Le Lan, irréprochable), de Thibault de Damas qui n’a hélas que quelques mots à chanter en Polonius, ou des deux fossoyeurs, l’excellent Antoine Foulon, jeune recrue de Génération Opéra, côtoyant le plus expérimenté Christophe Berry. Toujours fort bien préparé par Laurent Touche, le Chœur lyrique Saint-Etienne Loire livre lui aussi une prestation de grande qualité.
Laurent Bury
Photo © Hubert Genouillac
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