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Ariane et Bacchus de Marin Marais au Théâtre des Champs-Elysées – Une île déserte bien peuplée – compte rendu
Si Hugo von Hofmannsthal avait mis au service de Monsieur Jourdain (en 1912) ou de l’homme le plus riche de Vienne (en 1916) non pas un jeune débutant, mais un Komponist confirmé comme Marin Marais, le commanditaire n’aurait pas eu à se plaindre que l’île déserte où Ariane est abandonnée soit un décor par trop triste.
Dans Ariane et Bacchus (1696), on se bouscule à « Naxe », puisque Naxos s’appelait ainsi en français du Grand Siècle : non seulement les deux protagonistes ont chacun un ou plusieurs confident(e)s, mais le librettiste a jugé utile de leur adjoindre aussi un couple rival, Adraste et Dircée, avec leurs acolytes, sans oublier l’Amour, Mercure, et Junon qui poursuit de sa vengeance le dieu du vin, né des amours coupables de Jupiter avec « Sémèle ». L’île a aussi un roi, un sacrificateur, au moins une habitante (« une Naxienne »). Et bien sûr, il y a tout le personnel indispensable aux divertissements : Alecton, Phantase, Phobétor, les Songes, les Plaisirs, des Matelots, et les quelques divinités nécessaires à un Prologue plus flagorneur que jamais pour le grand Louis.
Avec une foule pareille, on devine qu’en dehors des deux rôles-titres, personne n’a vraiment le temps de s’exprimer bien longuement, d’autant plus qu’à la tête de son Concert Spirituel et des Chantres du CMBV, Hervé Niquet dirige à un train d’enfer. A peine plus de deux heures pour toute une tragédie lyrique, c’est presque un record, certes inspiré par la volonté de ne pas laisser au public le temps de s’ennuyer au cours de cette version de concert, mais à plusieurs reprises, on se dit que quelques secondes de respiration supplémentaire n’auraient pas été malvenues, dans des passages orchestraux où les instrumentistes doivent se montrer particulièrement volubiles, ou dans certains dialogues où les chanteurs auraient eu besoin d’un bref silence pour donner plus de poids à leur réplique. Certes, le texte de monsieur Balalud de Saint-Jean, truffé d’adverbes intempestifs, ne vole pas toujours très haut, même s’il tente parfois d’imiter Racine, avec des formules comme « Ingrat, juge combien je t’aimerais fidèle » ou « Heureuse, si l’ingrat en devenait jaloux ».
Pour cette Naxos aussi surpeuplée qu’une île grecque envahie par le tourisme de masse, le CMBV a su réunir une équipe nombreuse réunissant quelques piliers de ses distributions habituelles, mais aussi quelques voix nouvelles qu’on est ravi d’entendre à leurs côtés. Il y a quelques jours, à Budapest pour Scylla et Glaucus de Leclair (1), Judith van Wanroij et Véronique Gens incarnaient les deux principaux personnages féminins : la première est ici une très majestueuse Ariane, qui garde une pudique réserve même dans l’expression de son dépit amoureux, tandis que la seconde a cette fois beaucoup moins à chanter, même en cumulant les rôles de Junon et de la Nymphe de la Seine. Egalement présent à Budapest, David Witczak est en Adraste l’un des rares à dépasser le statut de silhouette, et il donne à son personnage autant d’épaisseur que le livret le lui permet.
Comme on pouvait s’y attendre, Mathias Vidal prête à Bacchus ces accents fébriles par lesquels il sait rendre touchants tant de héros de ce répertoire. Admirable Iphigénie de Gluck à Rouen, Hélène Carpentier offre à Dircée une densité presque inattendue. Dans ses invocations infernales, Matthieu Lécroart procure à Géralde tout le relief possible. En Amour, Marine Lafdal-Franc a le piquant voulu, et l’on espère que les qualités déployées par Marie Perbost persuaderont le CMBV de nous la faire bientôt entendre dans un rôle plus développé.
Tomislav Lavoie, Philippe Estèphe et David Tricou complètent dignement cette brochette de solistes, tout comme le chœur du Concert Spirituel associé aux Chantres préparés par Fabien Armengaud. Le disque sur lequel doit déboucher ce concert permettra de confirmer que Marin Marais n’est pas seulement le compositeur d’Alcyone.
Laurent Bury
Marin Marais : Ariane et Bacchus Paris - Théâtre des Champs-Elysées, 4 avril 2022
© Guy Vivien
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