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Michèle Guyard à l'orgue Koenig d'Auteuil – Du fantasticus aux maîtres français du XXe siècle – Compte-rendu
Michèle Guyard, naguère titulaire à Saint-Merry et à la Salpêtrière et dont l'activité de concertiste témoigne d'une inépuisable énergie – elle proposait un tout autre programme dès le dimanche suivant en la très intéressante église Saint-Jean-Bosco (3) –, offrait un programme éclectique à l'invitation de l'association Études et Recherches d'Auteuil. En ouverture, Praeludium en fa dièse mineur BuxWV 146 de celui qu'elle reconnaît préférer à Bach : Buxtehude, son maître baroque de chevet, d'une inventivité suprêmement fantasticus via une approche très contrastée de la palette, par blocs individualisés, sens du rythme, du toucher et de la phrase achevant de restituer le caractère si spécifique de cette esthétique. Lui répondit, selon une approche dynamique non plus contrastée mais progressive de la palette, la Chaconne en fa mineur de Pachelbel, grand moment de poésie par le timbre et le phrasé.
Entre les deux, air Mein gläubiges Herze de la Cantate de la Pentecôte BWV 68 de Bach, repris de la Cantate de la chasse, par la soprano Sandrine Marchina, voix chaleureuse et souple, d'une grande égalité sur l'ensemble de sa tessiture ; dans l'original profane, la voix est accompagnée du cor, auquel se substituait ici la trompette de Daniel Roux, d'une belle vaillance à défaut d'une palette de nuances aboutie, sans doute un peu durcie par l'acoustique. S'ensuivit le Rejoice greatly du Messie de Haendel, où Sandrine Marchina, très musicienne, confirma une parfaite aisance dans la coloratura baroque, au chant radieux répondant une partie d'orgue fort éloignée d'un simple accompagnement : l'orchestre de Haendel dans sa richesse textuelle. La première partie se refermait sur le virtuose Concerto en si bémol majeur n°2 de Vivaldi pour trompette, avec dans l'Allegro final d'étonnants suraigus d'une grande pureté pour quelques attaques ailleurs moins assurées, doigts et souffle s'acquittant des pièges de l'œuvre.
Honneur aux dames en début de seconde partie, Michèle Guyard défendant volontiers en concert les compositrices. Choral et Fantaisie sur l'hymne Sacris solemnis de Marie-Louise Girod, l'un des grands noms de l'orgue français du siècle dernier, titulaire à l'Oratoire du Louvre : page monumentale et personnelle, parfaitement acclimatée à l'orgue d'Auteuil, que Michèle Guyard fit sonner « grand » et comme s'il relevait d'une autre esthétique, foncièrement néoclassique. Lui répondit une page non seulement délicieuse mais remarquablement écrite de Mel Bonis : Moderato op. 95 (3). En complément, le très enjoué Prélude liturgique dans l'esprit d'un Noël populaire que Gaston Litaize dédia à Marie-Louise Girod.
Les trois musiciens se retrouvèrent autour du compositeur baroque polonais Damian Stachowicz (1658-1699), dans la musique religieuse duquel on trouve un brillant Konzert pour voix, trompette et orgue (Veni, veni consolator), l'aisance de la première l'emportant sur celle de la seconde. Voix encore avec un O salutaris de Gounod d'abord sombrement théâtral, une introduction dramatique plantant le décor, suivie d'une page lyrique pour soprano de toute beauté. La dernière pièce pour orgue, vraie découverte, était signée Seth Bingham (1882-1972), un Américain formé à Paris (Guilmant, d'Indy, Widor), organiste et maître de chœur à New York, professeur associé à Columbia. Roulade porte magnifiquement son nom : on songe à la virtuosité de l'Impromptu de Vierne (qui vaut bien une Étude de Chopin), également pour l'alternance entre mouvement perpétuel et sections médianes, ici également une fanfare avec la Trompette, très américaine et pleine de panache. Et des doigts virtuoses, il en faut ! Michèle Guyard, dans une autre vie, ayant commencé comme pianiste, fut lauréate du Concours de Genève, et cela s'entend. Splendide.
En clôture, à trois et de nouveau en bis, un traditionnel américain : Nobody knows [the Trouble I've Seen], chanson du temps de l'esclavage publiée à New York en 1867 dans un recueil intitulé Slave songs of the United States, laquelle se referme sur un extatique Glory hallelujah chanté avec puissance et ferveur par Sandrine Marchina – un franc succès public, comme pour tout ce magnifique concert.
Michel Roubinet
(1) d'après le baron Frédéric-Émile d'Erlanger, banquier franco-allemand, père de Rodolphe d'Erlanger, peintre, orientaliste et musicologue auquel on doit l'obligation du bleu – d'une teinte très précisément déterminée, devenue « traditionnelle » – et blanc dans les constructions en Tunisie, mais aussi un traité monumental faisant autorité, soit six volumes publiés chez Geuthner entre 1930 et 1959, pour l'essentiel à titre posthume : La musique arabe
(2) www.erf-auteuil.org/activites/orgue-organiste.html
www.organsparisaz2.orguesdeparis.fr/Eglise%20Prot%20Auteuil.htm
(3) inventaire-des-orgues.fr/detail/orgue-paris-eglise-saint-jean-bosco-fr-75056-paris-stjbos1-t/
www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Paris/Paris-Saint-Jean-Bosco.htm
(3) Georges Lartigau a enregistré l'intégrale de l'œuvre d'orgue de Mel 4onis à l'orgue Puget de Saint-Amans de Rodez (2 CD Ligia, 2017)
politiquemagazine.fr/civilisation/les-combats-de-mel-la-legendaire/
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