Journal
Une interview de Dominique Bluzet – Le Ballet de l’Opéra de Paris au Grand Théâtre de Provence
On le savait infatigable, boulimique de culture, de beauté, d’arts vivants à faire partager : Dominique Bluzet, qui étend sa sphère bénéfique d’Aix-en-Provence, avec le Grand Théâtre de Provence et le Théâtre du jeu de Paume, jusqu’à Marseille, où il dirige également le Gymnase et les Bernardines, a su pécher la perle rare, et faire venir jusqu’à lui le plus prestigieux du ballet français, aux termes d’un partenariat qui s’étendra sur trois ans et prendra des formes multiples. Tour de piste, tour de force, ce passionnant passionné n’en finit pas de faire des cadeaux aux Aixois. Une performance qui se veut une mission.
On ne vous connaissait pas cette attraction pour le ballet ?
Au départ, je suis acteur et donc homme de théâtre, puis de musique, et je ne pense pas, même si j’en ai mis en scène avec beaucoup de plaisir, que l’opéra soit l’art majeur, sous prétexte qu’il conjugue musique, voix et texte. Quant à la danse, elle a longtemps été pour moi une sorte d’alphabet auquel je ne comprenais rien, qui ne pouvait être appréhendé. J’avais pourtant quelques souvenirs marquants, comme un Lac de Cygnes d’enfance à Vichy, plus tard Pina Bausch ou encore Carolyn Carlson. Je sentais, sans vraiment comprendre les codes, que ce mode d’expression était majeur. Puis, grâce à mon voisinage aixois avec Angelin Preljocaj, j’ai mieux compris et tout s’est mis à parler. Notamment parce que les ballets d’Angelin sont transmissibles, compréhensibles par tout un chacun, même si sa gestique est d’une grande complexité.
J’adore tout particulièrement son Roméo et Juliette, sans doute parce qu’il est connecté au théâtre. Voir à la fois la pièce et le ballet est très instructif et enrichissant. Ensuite, j’ai eu la chance d’être en contact avec d’autres créateurs, tous très différents, comme Olivier Dubois, Philippe Decouflé ou encore les grands israéliens. Mais un des chocs majeurs de mon modeste passé de balletomane reste Jorge Donn sur la table du Boléro dans le film de Lelouch, Les Uns et les Autres. Envoûtant.
The Seasons Canon (chor. Crystal Pite), Ballet de l'OnP © Agathe Poupeney - OnP
Comment vous est venue cette idée de faire venir l’Opéra de Paris ?
Je suis un républicain passionné et engagé, et je n’admets pas que des concentrés d’excellence artistique, comme le Ballet de l’Opéra de Paris ou la Comédie Française, scènes nationales, soient réservés aux parisiens et surtout que les enfants n’aient pas accès à ces manifestations de l’art au sommet. Ces artistes devraient circuler dans toute la France, ce devrait être une obligation, et si le Ballet de l’Opéra, tout comme la Comédie Française, sont nos Rolls, je ne vois pas pourquoi ils ne rouleraient pas partout. Il faut que les enfants puissent découvrir ces merveilles pour élargir leur horizon et avoir envie d’y participer. Ainsi, je déplore qu’à Marseille, ville où le rapport au corps est fort et complexe, comme dans toute la Méditerranée, il n’y ait aucune salle qui soit consacrée à la danse, alors que Marius Petipa, Maurice Béjart - qui n’y a jamais dansé - et Roland Petit y naquirent. J’évoquais un jour le problème avec la grande dame qu’était Edmonde Charles-Roux, qui me fit remarquer drôlement que les jeunes filles « n’avaient pas de lieu pour y faire leurs débuts ». Comme je m’étonnais du caractère aristocratique de cette remarque, voici quelle fut sa réponse : « pourquoi la gauche n’aimerait-elle pas la noblesse de l’art ? »
La troupe donnera des cours, il y aura des séances de barre au Grand Théâtre de Provence, des répétitions publiques. En outre, les danseurs expliciteront leur travail et l’essence de leur art à Aix et, autant que possible, dans la métropole Aix-Marseille. Ils ont peu de temps pour les contacts, certes, avec leur terrible rythme de travail, mais quand on le leur donne, ils en sont heureux et leur exemple est profitable. Nous aurons donc cette rentrée la venue du Ballet, avec cinquante-cinq danseurs, puis les années suivantes, les Etoiles, l’Académie et l’Orchestre, peut-être enfin, l’Ecole de Danse, mais cela est plus compliqué.
The Seasons Canon (chor. Crystal Pite), Ballet de l'OnP © Agathe Poupeney - OnP
Comment s’est mis en place cet échange avec l’Opéra ?
En fait, c’est moi qui en ait eu l’idée, mû, comme je vous l’ai dit, par la nécessité que m’impose ma mission, qui est d’offrir aux aixois et à leur région le meilleur de l’art. J’ajoute d’ailleurs qu’ils ne sont déjà pas à plaindre, avec le Festival d’Art Lyrique, le Ballet Preljocaj et le Festival de Pâques, que j’ai créé en compagnie de Renaud Capuçon ! J’ai donc pris contact avec Alexander Neef et Aurélie Dupont, qui ont très vite acquiescé, même si le projet a mis deux ans et demi pour être finalisé et enfin réalisé. Evidemment les données financières seront difficiles à gérer, car nous ne sommes pas une institution subventionnée, mais je ne suis pas inquiet. Aurélie Dupont a donc choisi elle-même le programme qui sera présenté et qui, à son sens, donne une vision assez précise du potentiel technique et stylistique des danseurs. Avec le quatuor William Forsythe, Hans Van Manen et son infinie poésie, Crystal Pite, plus moderne, et le décapant Alan Lucien Oyen (sur lequel s’ouvre d’ailleurs la saison du Ballet à Paris, ndlr ), le spectacle est à ses yeux révélateur de la force et de la vitalité de la troupe.
Prolongerez-vous ensuite l’expérience avec d’autres compagnies françaises ?
Non, je ne ferai pas du Grand Théâtre de Provence une galerie des autres grandes maisons de l’hexagone. C’est à une vision artistique complète que je veux convier notre public, puisque juste après la venue du Ballet de l’Opéra, la Comédie Française donnera à Marseille une pièce de Stefano Massini, intitulée Sept minutes, que Maëlle Poésy, sœur de Clémence, et directrice du théâtre Dijon-Bourgogne, mettra en scène. Et le troublant est que cette pièce, très sociale, jouée par onze femmes en pleine réflexion face à une demande difficile de leur patron d’usine, sera présentée à la Friche La Belle de Mai, ancienne manufacture de tabac au XIXe siècle ! Mais j’insiste sur le fait que je ne vois jamais les spectacles que je donne dans les théâtres que je dirige. Je fais confiance aux artistes. Ils prennent leurs responsabilités, et je prends les miennes. Ainsi, même si je vais souvent à Paris et notamment à l’Opéra, je n’ai pas vu le spectacle de danse qui viendra au Grand Théâtre de Provence. A chacun de juger et d’apprécier.
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 29 août 2022
Marseille, Comédie-Française, Sept minutes, pièce de Stefano Massini, du 28 septembre au 5 octobre 2022, Friche La Belle de Mai. www.lestheatres.net
Paris, Alan Lucien Oyen, Création, du 20 septembre au 13 octobre 2022. www.operadeparis.fr
Photo © Caroline Doutre
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