Ce mardi 11 octobre s’ouvrait la saison musicale des Invalides, avec un concert donné en la cathédrale Saint-Louis, avec solistes, chœur et orchestre. En effet, dans un tel cadre, ce n’est évidemment pas la version originale de la Petite Messe solennelle qui est donnée, car ses effectifs limités n’y suffiraient sans doute pas à remplir la vaste nef. On a donc préféré l’orchestration établie par Rossini lui-même trois ans après avoir composé le premier état (1863) de sa messe.
 

© Caroline Doutre-CIC

 En écoutant cette œuvre, on ne peut manquer d’être frappé par tout ce qui l’oppose à une autre messe rossinienne bien antérieure, la Messa di Gloria de 1820, œuvre de jeunesse autant que la Solennelle est un « péché de vieillesse ». Si la première fut l’objet d’une commande satisfaite dans l’urgence, la seconde fut vraisemblablement écrite plus à loisir, par un retraité qui ne composait plus que pour son plaisir ; autant la première fait l’effet d’un pasticcio d’airs d’opéra, autant la seconde peut être considérée comme exprimant davantage de piété, et si l’on a pu lui reprocher un certain côté opératique, ce n’est en tout cas plus du tout au même univers lyrique qu’elle renvoie.
 
Le Rossini parisien des années 1860 n’est plus celui de Naples ou de Venise des années 1810, cela va sans dire : le septuagénaire s’est tenu au courant d’un demi-siècle d’évolution de la musique, son écriture en témoigne. S’il y a encore de l’opéra dans la Petite Messe, ce n’est plus Armida ou Mosè, mais bien plutôt du grand opéra français – que Rossini avait contribué à créer avec Guillaume Tell plus de trente ans auparavant – ou de l’opéra-comique. Le spectre du belcanto s’éloigne, et c’est l’ombre d’un tout autre répertoire qui plane ici.
 

© Caroline Doutre-CIC

Si l’on considère que la Petite Messe solennelle est une œuvre finalement plus française qu’italienne, on ne s’étonnera de ne pas y entendre d’artistes arborant forcément une étiquette rossinienne. Le Münchner Symphoniker prête à l’œuvre la gravité qui convient, le solo de Philippe Brandeis à l’orgue ne passe pas inaperçu, et le Chœur Vittoria d’Île-de-France montre ici quel niveau peuvent atteindre des amateurs motivés et très bien encadrés. La partition exige beaucoup du chœur, et l’on salue d’autant plus la netteté de ses interventions que l’acoustique de la cathédrale Saint-Louis des Invalides n’est pas toujours la plus propice (on pense surtout au Cum sancto spirito dont le rythme sautillant est ici un peu étouffé). Gestes attentifs et précis, la cheffe Lucie Leguay (photo) mène ses troupes avec une belle vigueur, tout en veillant à faire ressortir les moments d’émotion.
 
Parmi les quatre solistes, Paul Gay impose un timbre d’airain qui a, lui, déjà servi Rossini, en Basile du Barbier ou en gouverneur du Comte Ory, mais aussi familier des grands rôles de l’opéra français du milieu du XIXe siècle. Remplaçant in extremis Florian Cafiero indisposé, Paul Gaugler fait mieux que sauver la soirée, avec des couleurs peut-être plus héroïques que l’on n’en entend en général dans cette œuvre, mais tout à fait convaincantes. Raquel Camarinha confère une grande sensibilité aux passages confiés à la soprano, avec une voix dont la fraîcheur ferait merveille chez les héroïnes innocentes d’opéra-comique. Omniprésente à Paris ces temps-ci, Ambroisine Bré a tout juste eu le temps de quitter le costume de Mallika dans Lakmé Salle Favart qu’on la retrouve dans une œuvre qui ne précède que de vingt ans le chef-d’œuvre de Delibes : le passage de l’une à l’autre n’est sans doute pas si dépaysant que cela, et c’est à elle qu’il revient de conclure en beauté avec le superbe Agnus Dei par lequel Rossini termina quasiment sa carrière de compositeur.