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La Botte secrète de Claude Terrasse par la Compagnie Fortunio (Comédie Saint-Michel) – Tout l’égout sont dans la nature – Compte-rendu
De manière assez inexplicable, les œuvres de Claude Terrasse (1867-1923) reviennent bien trop rarement à l’affiche, alors que ce compositeur fantasque eut le bon goût de côtoyer les artistes les plus audacieux de son temps (son beau-frère Bonnard, mais aussi Mallarmé ou Satie) et de s’associer aux meilleurs librettistes disponibles : Courteline, Caillavet-de Flers, Jarry, Willy… Sans oublier Franc-Nohain, le célèbre auteur du texte de L’Heure espagnole, car c’est dans la même veine spirituelle et gauloise que se situe le livret de La Botte secrète, opérette créée en 1903 (1), dont la dernière reprise parisienne remonte à décembre 2011, par les Brigands.
La Compagnie Fortunio, fondée en 2012, a souvent du nez : elle l’a prouvé en montant dès 2018 Ô mon bel inconnu, de Sacha Guitry et Reynaldo Hahn, bien avant que le Palazzetto Bru Zane s’y intéresse à son tour. Elle est tout aussi bien inspirée en permettant au public de retrouver l’excellente Botte secrète de Terrasse.
La Comédie Saint-Michel accueille les artistes dans un cadre on ne peut plus intime, à peine plus grand que le salon de l’appartement du fondateur et directeur de la Compagnie Fortunio, qui hébergeait il y a peu les représentations des spectacles. La scène est bien petite, mais pour un acte unique qui se déroule entièrement dans un magasin de chaussures, elle est tout à fait suffisante, même réduite un peu plus par la présence du clavier sur lequel Romain Vaille interprète vaillamment la réduction piano-chant. Dans un décor renvoyant au style Art Nouveau, la mise en scène de Geoffroy Bertran ne cherche pas à introduire du réalisme dans une intrigue délicieusement absurde et accentue la convention théâtrale au lieu de tenter de s’y soustraire. Il appartient aux chanteurs-acteurs de distiller de leur mieux un texte émaillé de bons mots, de calembours et d’allusions dont, hélas, certaines échappent sans doute aux spectateurs d’aujourd’hui (seuls les mélomanes les plus pointus reconnaîtront cette phrase extraite du chef-d’œuvre de Reyer quand la Princesse déclare à l’Egoutier : « La Walkyrie, Sigurd, est ta conquête »).
Même si cette opérette fut initialement créée par des comédiens sachant chanter, plus habitués aux revues, ses exigences musicales n’en sont pas moins réelles. Le rôle de la Princesse est incontestablement le plus lourd, d’abord parce que le personnage ne quitte la scène que peu de temps au cours du spectacle (elle chante dans sept des dix numéros que comptent la partition), ensuite parce que ses différents airs supposent la maîtrise d’une tessiture large. Bien que souffrante, Marina Ruiz s’en acquitte admirablement, et réussit fort bien le moment où le personnage se laisse entraîner par l’attraction qui la pousse dans les bras de celui qui a appliqué sa botte sur le postérieur de son époux le Prince.
Succédant à Firmin Gémier en 1903, Brice Poulot Derache est un Egoutier dont la prestance en bleu de travail rend crédible le coup de foudre de la Princesse et, bien que ténor, il s’empare sans difficulté d’un rôle où l’on a l’habitude d’entendre plutôt des basses. En frac et haut-de-forme, Xavier Meyrand trouve un emploi sur mesure avec Hector, le « marcheur » (entendez « coureur de jupons ») condamné à troquer ses bottines vernies contre les bottes démesurées de l’Egoutier. Comme il convient, Geoffroy Bertran garde un sérieux imperturbable en Prince cocu conservant sur son fond de culotte l’empreinte de la botte qui l’a rossé le soir du 14 juillet, la distribution étant complétée par Joël Rossel dans le rôle du marchand de chaussures.
Laurent Bury
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