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"Belboul" par les Frivolités Parisiennes à l’Opéra de Reims / Festival Faraway – Massenet voilé – Compte-rendu
La curiosité guide depuis toujours les Frivolités Parisiennes. Il y a quelques années, elles avaient exhumé le Don César de Bazan (1872) de Jules Massenet, redécouverte documentée par un enregistrement paru chez Naxos. À la tête de l’Opéra de Reims depuis juin 2023, la compagnie poursuit sa découverte des premières réalisations lyriques du compositeur français, avec cette fois l’Adorable Bel-Boul, opérette de salon en un acte, qui fut créée au Cercle de l’union artistique – également appelé Cercle des Mirlitons – le 17 avril 1873. Pour cinq chanteurs, clarinette, trombone et piano – effectif idéal pour une exécution en petit comité – l’ouvrage s’appuie sur un livret de Jules Poirson, qui situe son action dans cet Orient cher à l’imaginaire du XIXe siècle – Samarcande en l’occurrence. Le cœur de l’argument en peu de mot ? La belle Zaïza ne sera autorisée à se marier que lorsque sa sœur aînée Bel-Boul, d’une laideur extrême, aura trouvé un époux.
© Jérémie Bernaert
Une réalisation de jeunesse pour laquelle Massenet conservait une certaine tendresse puisque, amené à revoir sa partition en mars 1887, il nota sur son manuscrit : « partition revue ... avec étonnement et... admiration... ». À la vérité, sans constituer aucunement un chef-d’œuvre, elle comporte de très jolies inspirations, tant du côté vocal qu’instrumental, avec une partie de piano très travaillée, ici réalisée à quatre mains et admirablement servie par Jean-Frédéric Neuburger et Thomas Tacquet (en outre chef de chant de la production), Mathieu Franot étant à la clarinette, Vincent Radix au trombone).
A la fois metteuse en scène, scénographe et conceptrice du spectacle Belboul (présenté en création mondiale dans le cadre du festival rémois Faraway) Alexandra Lacroix a, fidèle à son habitude, souhaité mettre en perspective l'ouvrage de Massenet en offrant une réponse contemporaine à un Orient de bazar (c’est le cas de le dire : l’action se passe chez Ali-Bazar, père de Zaïza) et à la misogynie d’un argument qui invisibilise totalement Bel-Boul puisque le personnage n’a pas n’existence physique, n’est que synonyme de laideur ( « monstre », « guenon » entend-on ...) – et ne saurait être mariée que cachée par un voile.
Au commencement de l’œuvre, Zaïza vient de perdre son voile à la mosquée et a été protégée de la fureur de Sidi-Toupi, le derviche tourneur, par un beau jeune homme, Hassan, qui ne va tarder à manifester des sentiments pour elle. Cette affaire de voile a donné l’idée de faire appel à la compositrice franco-iranienne Farnaz Modaressifar pour proposer un complément à l’ouvrage de Massenet : Des rires au jasmin (pour deux pianos, clarinette et trombone).
Un voile qui a aussi inspiré Alexandra Lacroix pour une scénographie particulièrement originale et réussie – résultat d’autant plus remarquable que le spectacle été monté en un temps très bref, avec des lumières signées Flore Marvaud et une création vidéo de Jérémie Bernard. La totalité de l’ouvrage de Massenet se déroule sous un immense tulle qui laisse seulement deviner les silhouettes des personnages. Les chanteurs-comédiens sont tous excellents, à commencer par la Zaïza de Marion Vergez-Pascal (une lauréate Adami 2023) et l’amoureux Hassan de Mathieu Dubroca, entourés d’Angèle Chemin (Fatime), servante pleine de douce complicité, et de François Rougier (Sidi-Toupi) et Antoine Philippot (Ali Bazar), hauts en couleur dans leurs emplois respectifs.
L’action se déroule sous le regard de Farnaz Modarresifar, présente sur scène dès le départ et qui observe le déroulement d’une opérette produit de la culture occidentale, avant de bientôt se mettre à couvrir la paroi en fond de scène d’inscriptions – en farsi suppose-t-on – et aussi des mots « monstre » et « guenon » – regard d’évidence agacé. Assez onirique au départ, l’atmosphère, par la permanence du voilage de l’action, se fait plus étouffante au fil de l’œuvre, pour devenir franchement oppressante in fine.
© Jérémie Bernaert
Volontairement brutale l’irruption de la pièce de Modaressifar s’accompagne de la disparition du voile qui englobait le Massenet. Les chanteurs sont couchés au sol, pris de rires et convulsions et bientôt dégagés du centre de la scène par la compositrice, tels des encombrants. « Libres sous nos voiles » : l’inscription qui s’affiche à un moment au cours d’une partition de nature essentiellement instrumentale souligne la démarche de l’artiste franco-iranienne qui, partant du triste sort réservé à Bel-Boul, élargit son propos à une dénonciation de l’oppression infligée aux femmes par le régime des mollahs – entre autres ... Et traduit une aspiration à la liberté par l’irruption de fleurs dans le décor (en écho à la scène des fleurs du Massenet) et la très belle intervention du santûr (la cithare iranienne) admirablement joué par F. Modaressifar. Il n’est reste pas moins, que malgré de belles trouvailles tant scéniques que musicales (la compositrice possède un authentique sens des timbres), Des rires au jasmin manque d’une certaine force dramaturgique pour pleinement convaincre.
Alain Cochard
J. Massenet : L’Adorable Bel-Boul / F. Modaressifar : Des rires au jasmin – Reims, Opéra, 10 février 2024
Photo © Jérémie Bernaert
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