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Luca Akeada Santesson et Valéry Aubertin à Saint-Séverin – Jeune talent et création – Compte-rendu
Ouverte le 28 avril 2024 (clôture le 24 mai 2025 avec L’Art de la Fugue), la saison de Plein Jeu à Saint-Séverin en l’honneur des soixante ans de l’orgue Kern, reconstruit en 1959-1964 et inauguré par Helmut Walcha, se poursuit au fil de manifestations d’une riche diversité, alternant « grands » concerts et auditions « jeunes talents », jusqu’à imbriquer les deux, ici même. Après la Tribune ouverte du 28 septembre (Éric Lebrun, Marie-Ange Leurent, Françoise Dornier, Patrick Delabre, Jean-Baptiste Robin…), le rendez-vous du 26 octobre était sous-titré Musique d’aujourd’hui : une création mondiale au cœur d’un programme entre Renaissance italienne et notre temps.
Né en 2001 à Milan de parents suédo-japonais, Luca Akaeda Santesson (photo) (1) assurait la partie récital soliste. Formé à la musique ancienne (également au clavecin et au clavicorde) comme aux autres époques de l’orgue, il a étudié au CRR puis au CNSM de Lyon et poursuit sa formation à la Hochschule für Musik und Theater de Hambourg. Il s’est fait connaître lors de concours internationaux de renom : Grand Prix d’Orgue Jean-Louis Florentz – Académie des Beaux-Arts, Angers, 2022 ; Prix pour la meilleure interprétation de l’œuvre d’Olivier Messiaen et Deuxième Prix du Concours Olivier Messiaen, Lyon, 2022 ; Premier Prix (Schnitger Prize, Young ECHO organist of 2024) de l’International Schnitger Organ Competition 2023 (Orgelfestival Holland, Alkmaar).
Son programme mettait en lumière l’aptitude du Kern à servir des esthétiques contrastées, le tout sonnant superbement, sans vaine nécessité, toujours à Saint-Séverin, de tenter d’évoquer « à l’identique » la couleur instrumentale des écoles concernées – se glisser dans la palette pour suggérer l’esprit de l’œuvre, en toute indépendance : Toccata Quarta de Michelangelo Rossi (ardue en ouverture, d’où peut-être une liberté incomplètement nourrie d’improvisation), Préludes n°1 et 6 de Jean-Pierre Leguay, parfaits dans ce contexte, Komm, heiliger Geist BWV 651 de Bach, festive et complexe Toccata de Bernard Foccroulle, Klag-Lied BuxWV 76 de Buxtehude, Cantio « O, Traurigkeit, o Herzeleid » imitatione tremula organi de l’Autrichien Franz Danksagmüller (né en 1969, disciple de Michael Radulescu et de Daniel Roth) – commande du Concours international Buxtehude 2009 de Lübeck et conçue pour pouvoir être aussi jouée sur un orgue au tempérament mésotonique, cette pièce repose sur la Variation V de Ach du feiner Reiter de la Tabulatura Nova de Samuel Scheidt (1624). En guise de couronnement, sur un tempo remarquablement giusto, virtuose à souhait mais sans précipitation, noblement déclamée, rayonnante : la Toccata « dorienne » et fugue BWV 538 de Bach. Superbe prestation.
Entre Buxtehude et Danksagmüller fut créé – commande de Plein Jeu à Saint-Séverin – Chronos pour deux orgues de Valéry Aubertin, ému au souvenir de son premier concert, ici même, à l’invitation de Michel Chapuis. Véronique Le Guen était en tribune, François Espinasse à l’orgue de chœur (Hartmann, 1966). Poème épique (Kronos, fils d’Ouranos et de Gaïa) et réflexion sur le temps (Chronos se confond avec Kronos), le temps musical se nourrissant de ces deux composantes, l’œuvre a été clairement conçue pour Saint-Séverin et ses contraintes : deux orgues d’ampleur inégale, sans visibilité de l’un vers l’autre.
Le règne d’une durée non déterminée de Chronos, bien que féroce Titan, fut un âge d’or car hors du temps, jusqu’à l’accident ayant conduit à la séparation du ciel et de la terre, et à l’avènement du temps. Les orgues s’affrontent de prime abord brutalement, versant sombre de Kronos, puis le dialogue s’instaure, image d’un temps émergeant peu à peu structuré, jusqu’à se mêler tout en gardant leur autonomie. Au cœur de l’évocation, une déploration méditative aux réminiscences quasi lisztiennes (Weinen, Klagen). Œuvre dense à l’écriture acérée, d’une charge poétique sensible.
Trois dates à retenir en novembre : hommage, le 17, à Francis Chapelet pour ses 90 ans, cotitulaire à Saint-Séverin de 1964 à 1984, par l’Ensemble Zoom Choral, Uriel Valadeau, Jean-Laurent Coëzy, Nicole et Mathilde Marodon Cavaillé-Coll et Francis Chapelet lui-même ; Concert tremplin, le 23 : Kacper Orzechowski (CRR de Paris) ; enfin La Nativité du Seigneur de Messiaen, par la classe d’orgue de Françoise Dornier au Conservatoire du 5e arrondissement, cycle parfaitement en situation sur le Kern de Saint-Séverin – où il fut joué pour la dernière fois par Daniel Roth, en présence du compositeur, le 20 novembre 1988 (Société française de Musique contemporaine, sous le patronage des Amis de l’Orgue)…
Michel Roubinet
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Paris, église Saint-Séverin, 26 octobre 2024
www.orguesaintseverin.fr
(1) www.auditorium-lyon.com/fr/interpretes/luca-akaeda-santesson
Photo © DR
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