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​ Une interview de Camille Delaforge, fondatrice et cheffe de l’ensemble Il Caravaggio – L’heure de l’envol

 
 

 
Après le premier enregistrement mondial des Génies de Mademoiselle Duval – séduisante découverte dont on avait eu un avant-goût en 2021 au Festival de Sablé – et une non moins réussie anthologie de cantates françaises avec Victoire Bunel, Anna Reinhold et Guilhem Worms, Camille Delaforge et son ensemble Il Caravaggio ont offert en fin d’année passée une splendide version du Devoir du Premier Commandement, drame sacré d’un Mozart de 11 ans. (1)
L’heure de l’envol est venue pour un ensemble (fondé en 2017) qui, pas à pas, a su affirmer sa singularité dans le riche paysage baroque français. On retrouve Il Caravaggio et sa cheffe à partir du 22 janvier (à Besançon) pour Le Carnaval de Venise de Campra, inscrit dans une grande tournée de la Co[Opéra]tive (jusqu’au 6 avril). Une production qui réunira les voix de Victoire Bunel, Anna Reinhold, David Tricou, Sergio Villegas Galvain et Guilhelm Worms. Et d’autres projets d’importance se profilent : Didon et Enée au Dutch National Opéra d’Amsterdam et un enregistrement des Pygmalion de Rameau et de ... Monsieur Bailleux. Talentueux et curieux Il Caravaggio !  
 
 

 
L’automne passé a été marqué par la sortie – chaleureusement accueillie  –  de votre enregistrement du Devoir du Premier Commandement, drame sacré composé par un Mozart de 11 ans seulement. En quoi le fait d’avoir travaillé sur cette rareté – parfaitement dans l’esprit de curiosité qui anime Il Caravaggio – a-t-il contribué à l’évolution, la maturation de votre ensemble ?
 
Camille DELAFORGE : Beaucoup de choses se croisent dans cette partition. Des époques d’abord : on y trouve aussi bien le baroque que le classicisme ; elle fait se rencontrer un tout jeune garçon et son père – on trouve même des annotations de Leopold sur la partition. Elle offre matière à réflexion en faisant éclater les barrières et, par-delà cet aspect, nous a amenés à travailler sur la dimension théâtrale et nous a libérés par rapport à la tradition mozartienne ou la tradition du baroque. Nous avons pris cette musique comme elle est. Aborder Mozart avec un ouvrage pas du tout connu a constitué un expérience formidable. Le Devoir du Premier Commandement est certes une œuvre sacrée, mais interroge sur le regard que l’on peut porter sur une partition de ce genre et sa théâtralité. Ces questions se posent aussi quand on fait une saint Jean ou une saint Mathieu, mais sans doute pas de manière aussi prononcée. Nous nous sommes senti pousser des ailes dans cette musique !
 
D’autres projets mozartiens ?
 
Oui, cela fait plusieurs fois qu’on me demande du Mozart, et plutôt dans la trilogie Da Ponte. Je suis très heureuse d’avoir commencé par ouvrir une porte chez le jeune Mozart avant m’attaquer à des réalisations plus tardives. Le Devoir du Premier Commandement montre beaucoup d’envies et s’avère très éclairant pour comprendre ce qui suivra. Nous reprendrons l’ouvrage le 19 juin dans le cadre du Festival de Saint-Denis, et dans d’autres lieux par la suite.

 

Le Carnaval de Venise (photo de répétition) © Laurent Guizard

 
Venons-en au Carnaval de Venise de Campra, qui va vous occuper du 22 janvier au 6 avril lors d'une tournée de la Co[Opéra]tive (vingt dates au total). Comme abordez-vous cette partition, de structure très originale ; comme se passe le travail avec Yvan Clédat et Coco Petitpierre, metteurs en scène du spectacle ?
 
Née de la volonté de distraire le Dauphin qui s’ennuyait, l’œuvre est unique et géniale à explorer pour les interprètes. La partie dramatique française de la tragédie existe avec les personnages principaux. Campra a utilisé des formes à l’italienne, mais n’a pas écrit dans le style italien ; le résultat est assez étonnant. Dans la structure de la tragédie s’insèrent des scènes sur une place à Venise qui viennent tout le temps couper le drame avec des textes en italien et en français. On voit l’envie de créer un divertissement et c’est ce nous explorons avec Clédat et Petitpierre. Ils ont un univers plastique extrêmement coloré, visuel et direct qui fonctionne très bien avec cette musique baroque et jouent la carte du divertissement avec subtilité, ce qui convient à un ouvrage avec une grande étiquette, des conventions, beaucoup de cases à cocher. En regardant le plateau et tous les éléments de décor on a tous envie d’y aller jouer ; il y a un rapport enfantin au divertissement mais plein de finesse et qui trouve sa place dans l’histoire finalement assez dramatique des cinq personnages.
 
Ce Carnaval de Venise marque aussi votre première expérience de cheffe dans le cadre d’une production scénique. Qu’en est-il de la relation avec des metteurs en scène qui sont arrivés avec leurs idées sur l’ouvrage ?
 
Yvan et Coco anticipent énormément leur travail, comme des danseurs. Ils travaillent sur des schémas où ils savent à chaque demi-scène où se trouve tel personnage. Pendant les deux années de préparation du spectacle, mesure par mesure on a pu discuter de ce que nous voulions et ça a été une collaboration assez incroyable car elle laisse une place immense à la musique. Je suis danseuse de formation et le discours d’Yvan et Coco, qui porte énormément sur les états de corps me parlait énormément. De m’avoir mise en binôme avec des gens qui ont construit leur spectacle sur le corps plutôt que sur la pensée dramatique du projet a permis une rencontre très positive pour de la musique baroque, puisque le Carnaval de Venise reste un ballet – et de la musique de danse !
 

© Emilie Brouchon
 
Un autre projet s’annonce, à Amsterdam : Didon et Enée au Dutch National Opéra du 25 avril au 6 mai, qui verra Il Caravaggio collaborer avec le Netherland Chamber Orchestra ... (2)
 
Je pars en effet avec mon continuo à Amsterdam où nous rejoindrons le Netherland Chamber Orchestra pour une production semi-scénique de Didon et Enée. C’est un grand tournant pour moi que cette rencontre entre le savoir faire d’un ensemble indépendant français et un orchestre qui n’a pas axé sa recherche sur des pratiques historiquement informées. J’ai hâte de voir arriver ce moment ; c’est une préparation particulière car nous n'avons pas forcément les mêmes codes. Ce sera une belle aventure et une première grande ouverture internationale.
 
À propos de première, le moment de votre premier enregistrement ramiste approche puisque vous allez confier aux micros en avril prochain (pour le label Château de Versailles Spectacles) votre interprétation de Pygmalion ... 
 
Après le premier Mozart, le premier Rameau ! C’est un projet que je caressais depuis très longtemps car j’adore cet ouvrage. Puisque faire découvrir de nouvelles œuvres fait partie des habitudes de notre ensemble, nous allons le coupler avec un autre Pygmalion, une cantatille pour soprano et orchestre, complètement inédite, d’un certain Monsieur Bailleux. D’autres opéras de Rameau sont en projet, mais quel régal en perspective que d’enregistrer son Pygmalion, véritable best of du haute-contre chez ce compositeur, d’autant que cela se fera avec Mathias Vidal !
 
Propos recueillis par Alain Cochard, le 9 janvier 2025

 

> Les prochains concerts "André Campra" <

(1) Disponible chez CVS, tout comme le Duval et les Cantates françaises

(2) www.operaballet.nl/en/dutch-national-opera/2024-2025/dido-and-aeneas-concert
 
Campra : Le Carnaval de Venise
Du 22 janvier au 6 avril 2025
Tournée de la Co[Opéra]tive
20 dates - calendrier détaillé : www.lacoopera.com/tour
 
 
Photo © Emilie Brouchon

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