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​Così fan tutti à l’Athénée – Wolfgang Amadeus Hoffnung – Compte rendu

Tout est dans le i. A elle seule, cette petite voyelle finale indique aux spectateurs qu’ils ne vont pas exactement assister à Così fan tutte, mais à autre chose. Et pour autant, il ne s’agira pas d’une énième dénonciation du patriarcat, puisque la forme masculine de ce pluriel est en fait un neutre : non pas « les hommes, tous des salauds », mais « Ainsi font tous.tes », pour le dire en écriture inclusive. L’inconstance n’est l’apanage de personne, chacun ou chacune trompe et est trompé ou trompée. Si Così fan tutti n’était que cela, ce serait déjà énorme, et l’on se réjouirait de ce rappel que l’humanité tout entière est faible et faillible, sans qu’une moitié doive en accuser exclusivement l’autre moitié.

 

© Pascal Colette
 
Le dramaturge Arturo Cuenca Ruiz s’est chargé de cette première partie de l’opération, et il l’a fait avec brio : en adaptant/abrégeant le livret (le spectacle dure deux heures sans entracte, contre trois pour une représentation « normale »), il dispense le metteur en scène – lui-même, en l’occurrence – de devoir faire des acrobaties pour faire jouer une chose pendant que l’on en chante une autre : en taillant dans les récitatifs, et en supprimant quelques airs, il devient possible que les femmes dupent ici les hommes comme ceux-ci ont voulu les duper.

Mais ce n’est pas tout ! Car Romain Louveau et l’ensemble Miroirs Étendus, à l’origine du projet, ont aussi décidé d’aller plus loin : puisque la partition devait être aménagée compte tenu des coupes nécessaires, autant la chambouler un peu pour qu’elle puisse être interprétée par une dizaine d’instrumentistes ! C’est là qu’intervient Maël Bailly. Tout en respectant les lignes vocales, ce jeune compositeur a pris le parti de recourir à une formation résolument hors normes, qui réunit violon, violoncelle, clarinette et flûte – jusque-là, tout va bien – mais aussi, plus inattendus, piano et guitare, et enfin saxophone, ondes Martenot et synthétiseurs !

 

© Pascal Colette

Le résultat est un joyeux délire, d’un iconoclasme assez hilarant pour peu qu’on admette de s’éloigner de toute orthodoxie. Les sonorités convoquées sont souvent franchement loufoques, ce qui fait donc surgir le spectre de Gerard Hoffnung (1925-1959), entré dans l’histoire pour les concerts où il mettait au programme des œuvres comme A Grand, Grand Overture de Malcolm Arnold, pour orchestre et aspirateurs. Parfois, les instruments se substituent aux voix, comme pour « Soave sia il vento », parfois les voix deviennent instruments, dans l’ouverture et à plusieurs reprises par la suite, parfois les solistes chantent a cappella, et l’on est saisi par la virtuosité avec laquelle chanteurs et instrumentistes exécutent cette adaptation d’une inventivité redoutable, sous la direction limpide de Fiona Monbet.

Quelques instrumentistes auront le privilège de monter en scène au cours du spectacle, avant d’y venir presque tous lors du finale, mais pour le reste, les six chanteurs se déchaînent pendant ces deux heures sans interruption, autant sollicités sur le plan théâtral que vocal. On commencera par saluer la performance d’actrice de Marie Soubestre, Despina extraordinaire, qui cocufie et est allègrement trompée par son conjoint, Ronan Nédélec campant, lui, un Alfonso bonnasse, un rien moins manipulateur qu’à l’ordinaire, et dont on regrette seulement les aigus parfois un peu « blancs ». Côté messieurs, on retrouve deux artistes que le public commence à bien connaître : Sahy Ratia, qui prête notamment toute sa grâce à « Un’ aura amorosa », et Romain Dayez, brillant Guglielmo qui chante et joue son rôle avec un naturel confondant. Côté dames, le timbre superbe de Mathilde Orscheidt, mezzo qui bénéficie déjà d’une certaine visibilité en tant que lauréate de Voix Nouvelles, entre autres, bénéficie du rééquilibrage de la partition en faveur de Dorabella, tandis que Fiordiligi, bien que privée de « Come scoglio », permet à Margaux Poguet de déployer une voix aux stupéfiantes réserves dans le grave et au fort potentiel d’émotion.

Laurent Bury
 

 
> Les prochains opéras de Mozart <

Mozart : « Così fan tutti », libre adaptation signée Maël Bailly et Arturo Cuenca Ruiz. Paris, Athénée Théâtre Louis Jouvet, 30 janvier ; prochaines représentations les 25, 8 & 9 février 2025 // https://www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/cosi-fan-tutti-l_ecole-...
Spectacle créé le 21 janvier à Chambéry ; le spectacle sera ensuite donné en tournée à Compiègne (22 mai) : www.theatresdecompiegne.com/cos-fan-tutti-529
& à Tourcoing (5 et 6 juin) : www.atelierlyriquedetourcoing.fr/cosi-fan-tutti-05-et-06-juin-2025/
 
Photo © Pascal Colette

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