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La Folie dans la danse par le Ballet du Rhin - Déstabilisant - Compte-rendu
Il serait injuste pour son prédécesseur, Bertrand d’At, de parler de montée en puissance du Ballet du Rhin depuis l’arrivée de son nouveau directeur Ivan Cavallari. L’effet de nouveauté aura sûrement joué, d’autant que la qualité de la programmation justifie une affluence accrue, et chose remarquable, en regard de la fixité de la clientèle d’opéra, faite d’un public de plus en plus en jeune. Rien de convenu, donc, dans les quatre ballets présentés sous l’accrocheuse pancarte : La Folie dans la danse, qui propose deux créations, auxquelles il reste à faire leur chemin, et deux manières de chefs d’œuvre, celle de Stephan Thoss et celle de Marco Goecke. On peut ainsi remarquer qu’outre-Rhin, il y a actuellement une effloraison de chorégraphes de grand talent, de forte originalité, que la France a tendance à ignorer, lui préférant les sombres interrogations d’un Preljocaj, le tape-à-l’œil d’un Forsythe ou l’allure mode d’un Millepied.
Le thème, lourd, est évidemment lié à de multiples aspects de la danse, laquelle a engendré quelques fous de génie, de Nijinski à Olga Spessivtseva. Mais il permet surtout d’approcher la frontière entre identité et explosion hors de soi qu’induit la danse, qu’elle soit contenue dans de terribles règles comme la classique, qu’elle engendre la transe comme chez les derviches ou qu’elle soit simplement mise à jour des instincts les moins rationnels qui sommeillent en nous. De la pulsion au dérèglement, de la dynamique débridée à l’hystérie structuré par un usage de la répétition musicale et gestique, le tout sur des musiques enregistrées.
Conçu très habilement comme une progression dans un univers dérangeant, le programme commence par une création d’Ivan Cavallari lui-même, Dolly, portée par le ravageur 2e Concerto pour piano de Prokofiev. Superbe et vigoureux pas-de deux pour ouvrir le jeu, puis apparition de clones, de doubles, dans lesquels les héros se fondent. Traité avec un humour à sang froid, comme une fantaisie un peu inquiétante, la pièce remplit parfaitement son office, qui est d’une mise en décondition, avec élégance et finesse. On a moins aimé, ensuite, The Him, de Yuval Pick, baptisé création car il l’a remanié pour cette reprise rhénane. Pick, nommé récemment à la direction du Centre chorégraphique de Rieux-la-Pape, à la place de Maguy Marin, témoigne ici d’une énergie frénétique, dans ces chocs de corps portés par la seule dynamique, comme il est fréquent chez les chorégraphes israéliens, plus physiques que poètes. Une sorte d’affolement corporel, poussant jusqu’au bout les limites des danseurs, comme en transes, et scandé par une musique de juke-box, celle du groupe New Order.
Changement de cap avec le Boléro de Stephan Thoss, l’un des plus puissants chorégraphes du moment, dans la lignée d’un Spoerli ou d’un Uwe Scholtz. On y retrouve un expressionnisme allemand adouci, évoluant dans un univers proche de celui du suédois Mats Ek : une saynète plus théâtrale que dansée montre d’abord des vieilles dames sirotant leur thé, toutes à leurs bizarreries ordinaires, peu à peu sorties de leur petit quotidien par la violence du Boléro, qui les propulse hors d’elles. Le thème pourrait paraître classique, mais il est traité avec tant d’humour et de force expressive, les soli se muant en ensembles désopilants, que cet ersatz de Sacre du Printemps déclenche l’enthousiasme et surprend de bout en bout, d’autant que les six jeunes-vieilles dames du Ballet du Rhin sont fabuleuses de drôlerie et de férocité. Il commence par séduire, puis convainc. Le fait est rare.
Enfin, pur moment de folie douce, Sweet Sweet Sweet, de Marco Goecke, propose une promenade onirique de personnages indéterminés parmi un univers de ballons noirs qui vivent leur vie à chaque souffle, à chaque pas, et s’envolent en formes sans signification, mus par le seul hasard. La folie la plus totale imprègne cette enfantine plongée au cœur du mouvement, qui ne conduit vers rien mais emporte comme autant de nuages dansants. En 2005, Marco Goecke, phénomène ascendant de la chorégraphie allemande avait ici signé une petite merveille pour ses débuts. Chacun y prend ce qu’il a envie d’y trouver, un rivage, avec ses oiseaux de mer, des courses à l’abîme. La porte est ouverte, sur nos propres folies. Et les danseurs s’y ébattent avec délectation.
Jacqueline Thuilleux
La Folie de la danse – Strasbourg, Opéra national du Rhin, 13 avril, prochaines représentations les 14, 16, 17 et 18 (14h30 & 20h) avril, puis les 28 avril et 30 avril 2013 à Colmar (Théâtre municipal)
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Photo : J.L. Tanghe
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