Fraîchement accueillie en 1905 lors de sa première audition par l'Orchestre Lamoureux, La Mer de Debussy s'est toutefois vite imposée comme l'une des partitions majeures du XXe siècle. Daniel Kawka dirige le concert du centenaire de sa création.

Le 15 octobre 1905 à Paris, le chef Camille Chevillard prit place devant les musiciens des Concerts Lamoureux pour conduire un programme constitué de deux créations : La Mer de Claude Debussy et une partition de Pierre Kunc que Paul Dukas, présent à ce concert, décrit comme "un ouvrage pittoresque illustrant musicalement des impressions du paysage languedocien".

"(…)Il est difficile de nier que jamais l'auteur n'a fait preuve de virtuosité technique, remarque Dukas au sujet de La Mer. Comme présentation de sa manière, c'est aussi parfait que l'Après-midi d'un faune ou les Nocturnes, plus parfait même à certains égards. On sent que le compositeur est en pleine possession de sa maîtrise. Peut-être le sent-on trop et est-ce là, précisément, la cause du désappointement relatif de certains des admirateurs de M. Debussy, qui comptaient sur un renouvellement et un élargissement de son horizon musical au simple énoncé du titre qu'il avait choisi. Il est indubitable, cependant, que ce renouvellement s'annonce dans cet ouvrage. Mais il faut, pour l'apercevoir, un regard plus subtil, et une connaissance plus intime de l'ensemble de son œuvre qu'un musicien n'est en droit d'en exiger de la moyenne de ses plus enthousiastes partisans."(1)

Il fallait un peu de temps pour que La Mer trouve sa place dans le cœur des mélomanes … Cela ne tarda guère. Le 15 janvier 1908 Debussy écrivait à son ami Victor Segalen : "Ce n'est pas sans un fort battement de cœur que je suis monté au pupitre hier matin pour la première répétition. (…) On sent vraiment le coeur de sa propre musique… Quand ça "sonne" très bien, il semble que l'on est devenu soi-même un instrument aux sonorités totales, déchaînées au seul gré des gestes du petit bâton. Le 19 janvier, Debussy dirigeait La Mer à la tête de l'Orchestre Colonne. L'événement "déchaîna, selon le critique Luc Marvy, une de ces ovations qui (…) prouvent victorieusement la solidité d'un théâtre et le génie de son architecte."(2)

Le temps du succès commençait donc à l'Orchestre Colonne, mais c'est l'Orchestre Lamoureux qui détient le privilège de la création de La Mer et l'on comprend que la formation en célèbre le centenaire cette semaine. Partition clef du XXe siècle musical, l'ouvrage est confié pour l'occasion à la baguette d'un passionné de répertoire contemporain : Daniel Kawka. Fondateur (en 1993) et chef de l'Ensemble Orchestral Contemporain de Lyon, il est certes un avocat convaincu de la musique d'aujourd'hui, mais son répertoire s'élargit de plus en en plus, témoignant d'un éclectisme remarquable. Après le concert Debusssy-Ravel (le Prélude à l'Après-midi d'un faune et Ma Mère l'Oye sont également à l'affiche) avec l'Orchestre Lamoureux, on le retrouve à l'Orchestre National de Lille dans un étonnant programme italien mêlant Mascagni, Respighi, Franscesconi et Romitelli (Nouveau Siècle/ 26, 28 et 29 nov.) puis en compagnie de l'Ensemble intercontemporain (Centre Pompidou / 16 déc.) dans trois créations de Buene, Parra et Cendo. Et ce n'est là que le commencement d'une active saison qui culminera le 27 août 2006 à Cracovie avec la création polonaise du Saint François d'Assise de Messiaen !

Alain Cochard

Orchestre Lamoureux, dir. Daniel Kawka. Théâtre des Champs-Elysées, le 18 novembre à 20h.

(1) Paul Dukas "Chroniques Musicales sur deux siècles" (Ed. Buchet-Chastel) (2) On trouve ces témoignages dans la passionnante correspondance de Debussy qui vient de paraître chez Gallimard. Noël approche: si vous avez un féru du musicien français à combler, déposez ce lourd (2230 pages !) et précieux volume au pied du sapin !

Photo : DR/BNF