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La Chronique de Jacques Doucelin - Après Mortier qui ?
A en croire le Ministère de la Culture, tutelle naturelle de l’Opéra de Paris, il serait urgent d’attendre pour désigner le successeur de Gérard Mortier. S’il semble désormais acquis que ce dernier restera à son poste jusqu’en juillet 2009, au terme d’une prolongation de quelque huit mois au-delà de ses 65 ans, on sera à trois ans de cette date fatidique dès le mois prochain : c'est-à-dire exactement le délai prévu par les statuts de notre première scène lyrique nationale afin de laisser le temps au « directeur désigné » de préparer ses premières saisons en toute sérénité. C’est à la fin de l’année que devrait intervenir la désignation. Etant entendu que l’Elysée a son mot à dire dans l’affaire et que Jacques Chirac est bien décidé à nommer le prochain directeur de l’Opéra de Paris avant de partir.
Tenir les délais est une chose. Dénicher l’oiseau rare en est une autre. Ce qui ne veut pas dire que les deux choses ne soient pas liées. Au point qu’entre les pressions politiques de toutes natures et les oppositions, parfois violentes, d’intérêts particuliers, il n’est pas sûr du tout que ce soit la meilleure solution pour le public, l’institution et ses personnels, qui sortira du chapeau ministériel.
Nul doute, par exemple, que la flamboyance du destin international de Stéphane Lissner ne continue de fasciner les tutelles, même si celles-ci se disent échaudées par le personnage imprévisible qui a quitté la direction du Festival d’Aix-en-Provence au milieu de son mandat. N’empêche que celui qui le lie à la Scala de Milan expire en 2009: il est des hasards trop beaux pour ne pas avoir été soigneusement aidés...Le pire ennemi de M. Lissner n’est pas lui-même, mais sans doute l’actuel patron de l’Opéra de Paris qui ne tarit pas de critiques à l’endroit de son cadet: ces deux-là sont trop semblables pour pouvoir s’estimer. Alors qui ? Commençons par regarder le paysage lyrique français. On y découvrira, du côté de Toulouse, capitale française du bel canto, Nicolas Joël, metteur en scène, ancien assistant de Patrice Chéreau et successeur de Michel Plasson à la tête du Capitole. Son travail, et surtout les résultats de son travail, en font un patron d’Opéra qui compte dans le monde lyrique: il organise des coproductions avec les principaux festivals – Aix ou Salzbourg –, signe des mises en scène dans les principaux théâtres lyriques américains qui coproduisent avec le Capitole. Son carnet d’adresses est l’un des plus riches de l’Hexagone en chanteurs et en chefs d’orchestre.
Qu’est-ce qui l’empêche de passer de Toulouse à Paris ? Si la musique classique et l’opéra étaient gouvernés en France comme chez nos voisins allemands ou anglais en fonction de la seule compétence des gens, ce serait déjà fait. Mais ce serait compter sans la basse politique et la petitesse des hommes. Un bruit court dans les couloirs du Ministère de la Culture: Nicolas Joël ferait province… Les bras vous en tombent: de la province internationale comme ça, on en redemande! Certains bas fonctionnaires lui font payer, en réalité, son refus du label national. « Le Capitole est déjà international, il ne peut pas se limiter à être national », avait ironisé Joël quand Paris lui avait proposé la nationalisation. Ca ne se fait pas: on ne refuse pas l’argent de Paris dans la France jacobine et énarchique : c’est même un crime de lèse-majesté qui doit être puni !
Pour l’expier, une autre rumeur suggère déjà un autre nom, celui de Laurent Bayle dans le rôle de joker. Fondateur de Musica, festival de musique contemporaine de Strasbourg, ce jeune quinquagénaire aux dents longues a un parcours sans faute: il est actuellement le principal acteur symphonique de Paris depuis qu’il cumule la direction de la salle Pleyel rénovée et celle de la Cité de la Musique, postes auxquels s’ajoute la mission de coordonner les travaux du futur grand auditorium de La Villette. Bref, une vocation symphonique à grand plein temps.
Le simple bon sens et le souci d’une saine gestion des deniers publics suggèrent que les autorités qui ont promu récemment Laurent Bayle devraient lui laisser le temps de faire ses preuves avant de le remettre dans le cycle infernal des chaises musicales. Peut-être n’est-ce là qu’un écran de fumée aussi illusoire qu’inutile. Mais allez savoir ! D’autant que l’étranger pourrait à nouveau fournir un patron à l’Opéra de Paris: le Belge Bernard Foccroulle, successeur de Gérard Mortier à La Monnaie de Bruxelles en 1991 et de Stéphane Lissner à Aix-en-Provence l’an prochain, aurait été l’homme de la situation, mais il est déjà fort occupé. Pierre Audi, metteur en scène et directeur de l’Opéra d’Amsterdam, ne refuserait pas. Comme dans le cas de Nicolas Joël, il suffirait de bien stipuler dans le contrat qu’ils ne doivent pas signer de mises en scène durant leur mandat à l’Opéra de Paris. C’est la moindre des choses.
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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