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Toulouse - Compte-rendu : Hofmannsthal compris
Pour sa mise en scène assez attendue du Rosenkavalier, Nicolas Joel ne s’est pas embarrassé d’exégèse. Il a raison, Hofmannsthal dit tout et assez clairement, et le futur patron de la grande boutique s’est contenté de le lire avec attention.
Défendant la valeur de son livret, le poète insistait sur la réalité de la Vienne impériale, et notamment sur l’entremêlement des différentes strates de la société et le déclassement de certaines : c’est dans ces marges que le metteur en scène s’amuse, sans génie, il le laisse avec circonspection aux auteurs, mais avec ce joli métier qu’on lui admire, et particulièrement dans la suite de ladres, curé défroqué, braconniers, palefreniers, jeunes gandins tombés au ruisseau, fil naturel (Leopold), qui lui fait cortège.
L’acte II avec son barouf est éclatant, dans les beaux décors d’Ezio Frigerio, piquant, les griseries du III, la verve d’Ochs avant qu’il ne tombe dans les hallucinations, la Mariandel impayable de Sophie Koch, tout cela dit son vrai théâtre aimé, offert sans pédanterie au public. Aujourd’hui c’est quasiment une rareté, cette simplicité au service et de l’œuvre et des mélomanes.
On a moins aimé le I, peut-être à cause de la relative froideur, blanc et or, du dispositif un rien trop grand palais voulu explicitement par Frigerio, qui, bon côté des choses, aère l’action, mais la glace aussi ; surtout à cause de la Maréchale grand teint de Martina Serafin, grande voix qui ose un personnage plus corsé qu’à l’habitude, ignorant le pianissimo du monologue, et surtout ses ombres, avec un timbre souvent voilé. Mais beaucoup auront aimé, et avec raison, cette incarnation très simple, qui rappelle plutôt Reining ou Lehmann que Schwarzkopf ou Della Casa. Ce n’est simplement pas notre Maréchale et disons qu’avec ses moyens, et en conscience, elle fait bien tout ce qu’elle fait.
Sophie Koch (photo) est l’Octavian du moment, c’est entendu. Avec Serafin, sa voix s’accorde mal cependant, charge, assombri le timbre pour essayer de trouver avec le grand instrument un peu opaque de sa Maréchale sinon un alliage du moins une parité. La preuve, lorsque la Sophie stratosphérique et irrésistible d’Anne-Catherine Gillet, qui chante si haut que les quelques notes basses du rôle, en début de phrase, semblent dites « à blanc », lui répond, Koch illumine son timbre, lui redonne cette légèreté, cette mobilité dont elle est encore capable. C’est entendu demain Brangaene,Vénus, Ortrud, Kundry même seront pour elle, mais aujourd’hui on savoure ses Strauss, on s’en délecte. Et la comédienne, irrésistible de naturel jusque dans la charge, vaut son pesant d’or.
Kurt Rydl parfait : on ne l’espérait à vrai dire pas aussi leste dans les défroques de cet Ochs grand seigneur désargenté et méchant homme lubrique, de voix comme de geste. Le souvenir d’Otto Edelmann, et de son débit légendaire, n’est pas très loin. On coupe un peu, les ciseaux sont assez légers, dans sa plainte de l’écorchure au duel du II. C’est mieux, le rôle est long et ici il se répète au demeurant ; c’est l’un des rares instants de la partition où Strauss avoue dans ses formules emberlificotées qu’il tire à la ligne.
Comprimari percutants, sinon Elsa Maurus dont l’Annina joliment jouée se faisait à peine entendre, avec une mention spéciale pour le beau ténor, au physique comme à la voix, d’Ismael Jordi. L’orchestre, dans une forme qui ne l’a d’ailleurs pas quittée de toute la saison, suivait la direction piquante, humoristique, nerveuse, épicée d’un Jiri Kout qui rappelait par la verve, l’entrain, les saillies, la vitalité rythmique rien moins qu’Erich Kleiber, la tendresse en plus pour les épisodes lyriques.
Grande soirée, unaniment heureuse, avec à la fin du III ce moment magique où un tulle vient effacer le décor pour la désunion des amants durant le trio. Puis les éclairages magiques de Vinicio Cheli, qui progressivement rendent la scène à la lumière banale du matin, rappelaient que derrière cette réussite jamais pédante on pouvait lire l’amitié liant le metteur en scène, son décorateur, son éclairagiste et sa costumière. Mieux qu’une équipe, une famille. L’opéra c’est d’abord cela.
Jean-Charles Hoffelé
Richard Strauss, Der Rosenkavalier, Toulouse, Théâtre du Capitole, le 13 mai, puis les 16 et 18 mai 2008
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Photo : Patrice Nin
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