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Médée de Cherubini à l’Opéra-Comique – Grandes et petites victimes – Compte rendu
![S. Brion](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/styles/asset_picture_default_400x250/public/medee_1-dr-s.brion_-1294x600.jpg?itok=mcfUEtM_)
Difficile, de nos jours, de considérer que Médée puisse être un monstre : non, c’est forcément une victime, et c’est l’angle qu’a choisi Marie-Eve Signeyrole pour sa mise en scène. L’héroïne mythique acquiert donc un double qui n’a rien d’épique, une femme incarcérée pour infanticide, qui livre des bribes de souvenirs tantôt triviaux, tantôt atroces, associés à quelques vidéos montrant un jardin et un intérieur où les enfants brillent désormais par leur absence. Ces intrusions ajoutées, sans doute essentielles pour la metteuse en scène, sont heureusement fort oubliables, et le spectateur parvient à en faire abstraction pour se concentrer sur l’œuvre de Cherubini, plus que jamais fascinantes.
![© S. Brion](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/medee_uu-dr-s.brion_-1294x600.jpg)
D’une part - et quoi de plus logique à l’Opéra-Comique ? – c’est bien la version originale qui est l’affiche, et non plus sa traduction italienne alourdie de récitatifs bien postérieurs, mais d’autre part, on entend enfin déclamer les vers de François-Benoît Hoffman, ces dialogues parlés longtemps jugés « impossibles » et qui ont sans doute contribué à la disparition de ce titre pendant de trop nombreuses années. La production a l’habileté de transformer en simple jeu de l’héroïne avec ses enfants tel passage où elle envisageait sincèrement de les tuer, tel autre en répétition d’un discours pompeux, mais dans l’ensemble, les chanteurs font de leur mieux pour dire ces alexandrins de manière aussi convaincante que possible, et s’ils ne sont pas tous également à l’aise, le résultat n’en est pas moins préférable à toutes les réécritures tentées ces derniers temps.
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Dans un décor monumental et dépouillé (Fabien Teigné), superbement éclairé (Philippe Berthomé), on assiste aux noces de Jason et de Dircé, comme prévu, avant que la visite de Créon à Médée vire à la ratonnade, les origines orientales de la magicienne étant ici mises en avant, ainsi que les brutalités policières qu’elles entraînent à Corinthe. Au dernier acte, après avoir envisagé de les empoisonner, c’est finalement la noyade que choisira Médée pour supprimer ses enfants, comme le fait comprendre la projection de vidéos en partie réalisées en direct (avec une qualité d’image qui n’est pas si courante sur les scènes d’opéra). Les deux petites victimes – un garçon et une fille issus de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique) participent activement au spectacle, tant sur le plateau que sur l’écran, la caméra se focalisant souvent sur leur regard qui épie les adultes.
![S. Brion](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/medee_3-dr-s.brion_-1294x600.jpg)
Des victimes, il y en a aussi dans la distribution, du moins à croire l’annonce que fait Louis Langrée avant le lever du rideau. Le froid fait des ravages parmi les chanteurs, et deux artistes sont annoncées souffrantes. Elles ont pourtant tenu à interpréter leur rôle, et le déroulement de la soirée montrera qu’elles ont fort bien fait : voilà des malades que l’on préfère à certaines voix bien portantes… Ces victimes du froid sont néanmoins assez superbement entourées : Michèle Bréant et Fanny Soyer forment un admirable duo de suivantes de Dircé, les qualités de leurs timbres respectifs étant parfaitement complémentaires. Edwin Crossley-Mercer, décidément abonné aux pères nobles Salle Favart (on se rappelle son Hidraot dans l’Armide de Gluck et celle de Lully) : son Créon est superbe d’autorité. Marie-Andrée Bouchard est une merveille de pathétique dans « Nos peines seront communes » et confère une forte présence à Néris. Comédien jusqu’au bout des ongles, d’une voix qui s’est remarquablement étoffée, Julien Behr s’impose sans peine en Jason, le personnage qu’il compose étant plus que jamais antipathique (normal, puisque Médée est une victime).
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Mais il est temps d’en venir aux deux victimes de l’hiver. Découverte avec Lila Dufy, soprano délicieusement corsé, qui fait de Dircé un vrai personnage de chair et de sang, bien mieux qu’une gentille rivale servant de faire-valoir à Médée : on imagine que la maladie fragilise surtout son aigu, mais que de qualités on entend dans ce chant, que l’on a grande hâte de réentendre. Quant à Joyce El-Khoury, que serait-elle, en pleine forme, si la Médée de cette deuxième représentation était souffrante ? Après son Aida remarquée à Rouen, la soprano libano-canadienne surmonte là encore tous les obstacles comme en se jouant ; elle révèle d’inépuisables réserves dans le grave de sa tessiture et stupéfie par l’intensité de sa prestation, qui la classe résolument dans la cohorte des très grands artistes d’aujourd’hui.
Et par bonheur, l’Insula orchestra et le chœur accentus se montrent eux aussi sous leur meilleur jour, Laurence Equilbey galvanisant ses troupes en mettant en relief toute l’âpreté et la violence d’une partition visionnaire, d’un romantisme qui dut décoiffer le public de 1797 et qui a encore de quoi troubler celui du XXIe siècle, lorsque cette musique est interprétée avec autant de passion.
Notez que le spectacle sera repris pour trois dates en mars à l'Opéra de Montpellier, sous la direction de Jean-Marie Zeitouni.
Laurent Bury
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Cherubini : Médée – Paris, Opéra-Comique, 10 février (deuxième représentation) ; prochaine représentations les 12, 14 & 16 février 2025 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/medee
Reprise à l'Opéra de Montpellier les 8, 11 & 13 mars 2025 // www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenements/medee/
Photo © S. Brion
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