Journal

Juliette, ou la clé des songes de Martinů à l’Opéra de Nice – Cadavres exquis – Compte rendu

 

Formidable rencontre que celle de cet opéra trop peu joué de Bohuslav Martinů (1890-1939), que le directeur de l’Opéra de Nice, Bertrand Rossi, a courageusement programmé. La dernière mise en scène de Juliette, ou la clé des songes, c’était en effet à l’Opéra de Paris en 2002. 
 
Se perdre au pays des rêves
 
Bien éloignée des habituelles Traviata et Tosca, certes plus aptes à remplir une salle, Juliette (dont Václav Talich dirigea la première en 1938 au Théâtre National de Prague) d'abord déconcerte, notamment lors d'un premier acte qui voit Michel, relieur parisien, en villégiature dans une ville côtière, se perdre au pays des rêves. La pièce onirique de Georges Neveux (créée en 1930 et portée à l’écran par Marcel Carné en 1951) est d'une veine surréaliste assumée. Le très inspiré Martinů tire toutes les ficelles musicales à sa disposition : parler-chanté, dialogues d'opéra-comique, accordéoniste de boulevard, rythmes jázzy, ensembles survoltés et surprises détonantes empruntant autant à Satie et Milhaud qu’à Dukas ou Stravinsky. L’ensemble relève du cadavre exquis musical.
 

© Dominique Jaussein
 
Un univers de folie douce
 
Le Lab, duo de metteurs en scène bordelais constitué de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, s’approprie cet opus déjanté avec une énergie explosive. Michel, qui a été victime d’une épiphanie esthétique l’amenant à poursuivre Juliette au pays des songes, tel Alice tombant au pays des merveilles, se voit transposé au Musée Matisse où il est pris d’un malaise fécond face à un tableau bleu. Le bleu est la couleur de mes rêves n'est-il pas le slogan manifeste de Joan Miró ? 
Le dispositif scénique, voulu comme un retable ouvert en trois volets, superpose écrans vidéo (signés Christophe Pitoiset) et panneaux de miroirs d’où sortent à moment, comme d’un cabinet de curiosités, des objets à la Magritte : chapeaux mous, brosse avec cheveux, poisson rouge, pistolets en plastique, laisse sans chien… L’action, menée tambour battant, enchaîne gags et poésie, sans que jamais, dans cet univers de folie douce, le dérèglement de la raison ne mène à la mélancolie ou à la mort. Folie et mort, justement, sont des termes que le livret évite, déplaçant notre sensibilité dans l’espace fécond et désirable du rêve, comme le promouvaient Robert Desnos et André Breton.
 
Dans le plus douillet des tissus sonores
 
Après cet acte délirant qui aura vu défiler une marchande d’oiseaux et une poissonnière (sémillantes Clara Barbier Serrano et Marina Ogii), un jeune matelot (Elsa Roux Chamoux), un patron d’hôtel, un capitaine au long cours (Oleg Volkov), une chiromancienne (Cristina Greco), un mendiant aveugle (exquis baryton de Louis Morvan), Martinů change de registre et plonge son deuxième acte dans le plus douillet des tissus sonores. Piano et célesta tendent des textures sensuelles, offrant à la rencontre entre Michel et la mystérieuse Juliette (le mezzo corsé et dense d’Ilona Revolskaya) des sommets d’extase et de mystère. On retrouve la palette séduisante des concertos pour piano et des Fresques de Piero della Francesca du compositeur tchèque. 
 

© Dominique Jaussein
 
Radiologue fou et autres anges du bizarre

En marchand de souvenirs, l’impressionnante basse de Paul Gay oppose sa présence de géant à l’ivresse amoureuse. Dans la vision irrévérencieuse, mais pertinente du Lab, le troisième acte s’offre comme une catharsis à toutes les angoisses. Il est en effet plutôt singulier que le retour à la réalité s’effectue à travers l’arche ô combien déstabilisante d’un scanner médical ! Mais l'humour étant au rendez-vous, toute phobie s'en trouve désamorcée. C’est l’occasion de jouir pleinement du formidable talent de Samy Camps, baryton de belle prestance et d’impressionnante projection, devenu ici un radiologue fou, après avoir été un infirmier du SAMU 06, un postier sur un vélo aux roues carrées et quelques autres anges du bizarre ! Applaudissons, au milieu de la troupe de dix-huit chanteurs, tous excellents, la stupéfiante prestation d’Aaron Blake, ténor de carrure rossinienne, venu en dernière minute endosser un rôle sollicitant sans cesse le haut de la tessiture et réclamant une présence physique de 2h30 non-stop.

 

Antony Hermus ( © antonyhermus.com )
 
La qualité acoustique de la salle de l’Opéra de Nice, tant aimée de Montserrat Caballé, sied bien à l’Orchestre Philharmonique de Nice qui, sous la direction d’Antony Hermus, se montre épris de cette partition splendide que l’on conseille vivement de découvrir. Épiphanie esthétique garantie !
 
Vincent Borel
 

Martinů : Juliette, ou la clé des songes – Nice, Opéra, 11 mars ; prochaines représentations les 13 & 15 mars 2025
www.opera-nice.org/fr/evenement/1195/juliette-ou-la-cle-des-songes

© Photo Dominique Jaussein
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles