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Marseille - Compte-rendu - Il Pirata - Abordage réussi
Rarement donné en France, Il Pirata de Bellini n'avait pas été entendu à Marseille depuis 1838, c'est dire si cette exhumation faisait figure d'événement. Opéra romantique conçu pour de brillants artistes de l'époque (Henriette Méric-Lalande, Giovanni Battista Rubini, AntonioTamburini), Le Pirate exige trois interprètes de haut vol rompus à l'écriture belcantiste et capables d'habiter leurs personnages avec héroïsme. Pour cette résurrection Renée Auphan a misé sur une distribution constituée de jeunes éléments qui ont su relever le défi avec succès.
Giuseppe Gipali(photo), découvert au Théâtre du Châtelet dans Medea de Cherubini et entendu dans Tosca à Marseille en 2005, possède en plus d'une agréable voix de ténor, un style et une technique de chant qui lui autorisent de s'aventurer sans dommage sur les terres belliniennes. Son Gualtiero vif et marqué par le destin, chante avec rigueur, vocalise et phrase la cantilène sans forcer, à la différence de Marcello Giordani exécrable dans ce rôle au Châtelet en 2002, aux côtés d'une Renée Fleming totalement anachronique.
En Imogene, Angeles Blancas Gulin quatre ans après sa prestation marseillaise dans Maria Stuarda, aussi belle qu'élégante, est une heureuse surprise. Comédienne dense et subtile, la soprano, malgré quelques prises de souffle équivoques, un diaphragme mal positionné responsable d'un certain manque de soutien et quelques aménagements avec la partition, réussit une vraie performance. Le timbre est prenant, les couleurs variées, l'interprétation sensible autant que construite surtout pendant la longue scène finale "O s'io potessi dissipar le nubi" où, pour la première fois depuis Callas, et dans une moindre mesure Lucia Aliberti, remarquable à Saint-Etienne en 1993 en duo avec l'étonnant Rockwell Blake, une musicienne donnait l'impression de chanter et de jouer la folie, sans la feindre.
Belle prise de rôle pour le baryton Fabio Maria Capitanucci, Ernesto engagé et au chant nuancé, entouré par d'excellents comprimari, la belle basse Ugo Guagliardo (Goffredo) et le fin ténor Bruno Comparetti (Itulbo). Seules restrictions, l'Adele un peu poussive de Mureille Oger-Tomao et la direction erratique de Fabrizio Maria Carminati, dont le discours manquait d'unité et ne cessait de faire fluctuer le tempo sans que ces variations ne soient pleinement justifiées.
Sobre et tenue, la mise en scène de Stephen Medcalf opte pour une relecture mesurée : Gualtiero, pirate moderne, échoue en pleine seconde guerre mondiale sur une île sicilienne occupée par des pro-nazis. Ainsi le bunker initial où sont accueillis soldats, déserteurs ou demandeurs d'asile, repêchés par un Zodiac !, se transforme aisément en sombre château de Caldora - amusante réception organisée pour le retour du SS Ernesto accompagné de sa garde rapprochée - Imogene trouvant la mort non loin de la mer qui lui avait retiré, puis rendu son amant.
François Lesueur
Bellini : Il Pirata, Opéra de Marseille, 20 février 2009.
Photo : DR
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