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Compte-rendu : Autoportrait avec percussionnistes - Le Père de Michael Jarrell à l’Athénée

Heiner Müller, disparu en 1995, continue d’inspirer les compositeurs d’aujourd’hui. Son écriture dramatique, souvent un dialogue avec les héritages culturels – de Sophocle à Shakespeare – et avec l’histoire, a inspiré à Georges Aperghis, Wolfgang Rihm, Pascal Dusapin et surtout Heiner Goebbels des œuvres fortes, à la frontière de l’opéra et du théâtre musical.

Le choix de Michael Jarrell peut étonner : plutôt que de puiser dans le riche corpus théâtral d’Heiner Müller, il s’est emparé d’un récit de 1958, Le Père, contemporain des premiers succès du dramaturge (Le Briseur de salaire, La Correction) et largement marqué par l’autobiographie. Ce faisant, le compositeur suisse, lui-même né en 1958, s’est débarrassé des artifices de l’opéra voire du théâtre pour se concentrer sur la narration.

Comme pour Cassandre en 1994 (sur un texte de Christa Wolf, autre grande figure de la littérature est-allemande), le rôle soliste est confié à un comédien. Mais si Cassandre, « opéra parlé pour ensemble et actrice », par le recours à la déclamation, relève du monodrame, Le Père est davantage une confession, en quelque sorte un « autoportrait avec six percussionnistes ». Ce sont en effet les Percussions de Strasbourg qui créent l’environnement sonore de la narration, qui, d’abord installent la violence du souvenir. La musique très tendue de Michael Jarrell ne va jamais jusqu’à être une présence descriptive, mais elle rend compte de l’état d’esprit du narrateur plus qu’elle n’accompagne la narration. La mise en scène d’André Wilms, un familier de l’œuvre de Heiner Müller, est en cela le prolongement direct de l’univers musical, forcément quelque peu onirique quand il s’agit de souvenirs d’enfance : au jeu des miroirs et de l’introspection répond une musique diffractée, portée par les six musiciens placés au pourtour de l’arrière-scène.

Gilles Privat, impeccable narrateur, est le point de jonction entre musique et théâtre : peu d’inflexions dans sa voix, mais les sentiments, les tensions du ressouvenir en sont exprimées par la musique, complétées par trois voix de femmes (Susanne-Leitz-Lorey, Raminta Babickaite, Truike van der Poele) qui interviennent non pas comme des personnages mais à la manière d’un chœur antique. Coproduite par l’Ircam dans le cadre du festival Agora, l’œuvre fait appel à l’informatique musicale avec une relative discrétion, mais de façon très efficace. Le système WFS, qui permet de créer une « profondeur de champ sonore », trouve ici une utilisation justifiée, entourant le public de murmures.

Agora avait achoppé l’an dernier sur la tentation de l’opéra (Hypermusic Prologue d’Hector Parra et son insupportable livret). L’électronique a, cette année, laissé la voix en paix, préférant en mêler les échos, sous formes de samples (échantillons), à ceux des instruments. Chez Gérard Pesson (Cantate égale pays), créé en ouverture de festival, cela semble un collage minutieux. Dans Speakings de Jonathan Harvey (interprété avec éclat par l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Pascal Rophé), où l’orchestre reprend les intonations émotionnelles propres à la parole humaine, l’électronique joue enfin parfaitement son rôle d’illusionniste sonore.

Jean-Guillaume Lebrun

Jarrel : Le Père - Paris, Théâtre de l’Athénée, jeudi 17 juin 2010

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Photo : DR
 

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